maux dits d’yvan

Dans le mur !

d'Lëtzebuerger Land du 12.01.2024

« On n’emprisonne pas Voltaire », disait de Gaulle à propos d’un appel à l’insoumission de Jean-Paul Sartre. Notre ministre de l’Intérieur, au français un peu approximatif, est peu susceptible de comprendre la pensée du grand Charles. Après s’être indigné d’avoir été deux (2 !) fois menacé, en plein centre-ville, par un gobelet pointé devant son auguste nez, le peu glorieux Léon se montre not amused devant le slogan « Nee zum Heescheverbued » taggé sur son mur qui n’en finiiiiiiiit pas de protéger sa propriété. Contrairement au général, notre soldat du law and order emprisonnerait volontiers Serge Tonnar, dont un poème tout ce qu’il y a de plus anodin n’aurait pas été pour rien dans cet acte de vandalisme. Fichtre ! Les mots du poète seraient donc plus forts que les maux du politique ? Au lieu de raser les murs, le ministre de l’intérieur semble dire au barde « ça va barder ! », oubliant au passage que c’est lui-même qui a rapproché mendicité et vandalisme : tous les deux, désormais, sont interdits, à raison pour le second, sans raison pour le premier.

En interdisant l’interdit de l’interdit de sa prédécesseuse, Gloden passerait presque pour un de ces soixante-huitards qui criaient dans les rues de Paris : Il est interdit d’interdire ! Mais s’il pense caresser ainsi ses électeurs dans le sens du poil, il faut bien constater que cet électorat constitue une majorité fort silencieuse, les cris d’indignation, de la Caritas aux bobos, de la gauche aux pirates, couvrant bien fort le mutisme de tous ces braves gens qui préfèrent les mendiants dans la vitrine d’Oberweis que devant celle de Namur. Comme dans la chanson, ses adversaires lui « auraient même coupé les choses, par bonheur il n’en avait pas » : de Gloden ouni Hoden, en somme ! Il n’y a guère que la pauvre Madame Kremer pour voler au secours du ministre quand elle s’indignait dans les colonnes du Wort : « D’Leit sollen entspaant duerch eis schéi Staat kënne goen, eis schéin an deier Geschäfter kucken. Räich Cliente sollen heihi kommen an all dëst soll ee gudden Image bréngen ».

Mais peut-être que le vandale du scandale de Grevenmacher voulait simplement paraphraser le vieux Brecht, en se demandant (en allemand, à l’intention du glorieux en question) : « Was ist das Taggen einer Mauer gegen die Errichtung einer Mauer ? » Il y a des images qui impriment, comme disent les communicants. Et le mur de Gloden pourrait bien devenir le symbole des débuts du nouveau gouvernement du nouveau Luc : les murs de prison dressés devant les mendiants insolvables, le mur de la frontière d’un pays qui arrête les immigrants appelés économiques, le mur du silence élevé (et finalement « leaké ») devant la presse et les députés qui voulaient prendre connaissance de l’accord de coalition et qui faisait du neie lucky Luc un leaky Luc, les murs à Uerschterhaff qui accueilleront à toute vitesse les condamnés en comparution immédiate, le mur, enfin, qui lui se fissure, entre la droite et ses extrêmes.

Le mur protège et emprisonne. Il y a en Provence les murailles en pierre sèche et au Luxembourg les remparts au cœur sec. Le mur de Berlin est tombé, les murs de Guerlain, Gucci et autres Hermès sont plus solides que jamais. Sans oublier le mur du çon que nos confrères du Canard Enchaîné ne tarderont pas à dédier à Leon Glauque que les gens de cœur verraient bien déjà au pied du mur.

Yvan
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