THÉâtre

Boulevard tragique

d'Lëtzebuerger Land du 02.07.2021

Le TOL continue ses aventures boulevardesques, et cette fois, sa directrice artistique Véronique Fauconnet laisse les rênes à Aude-Laurence Biver, pour se mettre à disposition de celle-ci, sur scène. La base comporte bien les ingrédients tout à fait burlesques du boulevard, la pièce jouit d’un bon rythme, du dynamisme entraînant des comédiens, mais surtout d’une transcription très propre au plateau de ce texte de Florian Zeller, sans aucun crash, au millimètre des impératifs qu’impose le spectacle vivant. Après avoir foré dans le texte, Biver transforme la comédie, en tragédie, ou presque. Elle offre au duo au cœur du spectacle des allures d’icônes grecques, dans une souffrance et une introspection, injectées tout du long dans le parti pris de la metteure en scène. Le Mensonge, devient alors le conclave convertissant l’infidélité en poésie.

Bien avant que Zeller ne se voit auréolé d’un Oscar pour l’adaptation de son texte Le Père en un film titré The Father (avec Anthony Hopkins), le TOL avait choisi de s’emparer de son Mensonge. Sans que ce texte ait l’incroyable puissance narrative de l’histoire oscarisée, force est d’admettre qu’il y réside un truc. Quelque chose à déloger du gras, voire du « lourdaud », de certains passages, mais bien un petit bidule qui traîne au fond du fond du sous-texte : les déchirures des histoires d’amour qui durent longtemps. Faisant vriller le vaudeville en tragédie, Aude-Laurence Biver laisse donc s’aventurer sur scène une forme d’onirisme qui commence à caractériser son travail. Une patte, celle d’une jeune metteure en scène, essayant de s’affranchir d’un texte tout à fait longiligne, sans trop de percussion et archi prévisible.

Pourtant, avec brio, elle nous sort de l’ennui des lignes aux lourdeurs et répétitions exagérées, grâce à une mise en scène très maîtrisée, et le choix d’une vision scénographique à la fois efficace et belle, composée avec Marco Godinho. Un éclair de génie que de donner au plasticien à illustrer le propos d’un décor, qui d’habitude, dans ce genre de spectacle, ne sert que de potiche. Là, les mécanismes scénographiques sont utiles et la perspective scénique récompensée. On sent le peu de moyens, mais on sent aussi suffisamment de jugeote pour trouver à donner une belle carrure à la scène.

Dans sa mise en scène, Biver tire pourtant au maximum ce qu’elle a pu trouver de sensible dans la pavasse. Son travail à monter de nouvelles fondations spectaculaires à ce texte est palpable. Ce boulevard sera tragique, et il est, et aurait pu l’être encore plus. En même temps, Le Mensonge de Biver se montre très doux, étrangement tendre, en décalage avec le potache qu’on attache au théâtre de boulevard.

L’ensemble de la troupe tient le boulevard comme le boulevard le veut, et comme la metteure en scène l’a dessiné. Néanmoins, au cœur, Véronnique Fauconnet se montre étonnante, délogeant de l’inattendu sur certaines lignes plates à l’origine. Elle se révélera aussi en prenant au corps la poésie de Biver, seule face à trois miroirs, pénétrant la honte, celle de la femme « trompée », au sens littéral. Lui donnant la réplique, si Olivier Foubert, connaît moins d’éclat, il trouve tout de même son moment à lui, seul en scène, plein de rage, et rongé par des aveux qu’il se perd à jurer mensonge ou vérité. Ensemble, ils forment un duo qui fonctionne, l’un tendant la main vers le rire, l’autre vers le sanglot.

Colette Kieffer et Raoul Schlechter de leur côté n’ont que peu de lignes à becter. Leurs rôles sont en fait quasi inutiles, même s’ils sont tenus proprement. Cet autre couple, lui aussi trompé et trompeur, déclic à l’instruction de la vérité, ne revêt à part cela, que peu d’intérêt dramatique. Il aurait été intéressant de n’avoir devant nous qu’un couple, se déchirant à savoir s’il est bien ou mal de s’évader avec un autre corps de temps en temps, après des décennies à s’aimer, et toujours, encore et à jamais, s’aimer profondément.

Pour finir, il s’agit de féliciter la création musicale de Benjamin Zana, très à propos, et finement composée avec à l’esprit – on en a l’impression – cette ligne phare dans la nuit, qu’on en rit forcé, ou qu’on s’en émeuve par expérience, « le mensonge est une preuve d’amour ».

Godefroy Gordet
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