Yachting

Les sept vies du lion rouge

d'Lëtzebuerger Land du 27.11.2008

Deux bonnes nouvelles émaillent l’actualité de l’industrie maritime au Luxembourg. D’abord, le lancement officiel du Cluster maritime luxembourgeois, qui devrait booster la branche et lui assurer une plus forte notoriété. Ensuite, un arrêt de la Cour d’appel qui a posé unefois pour toutes le principe de TVA à zéro pour cent pour les services à bord des grands yachts. 

La dépression offre paradoxalement un nouveau tremplin au développement du secteur maritime au Luxembourg, parce qu’elle rend désormais urgente la diversification du tissu économique, secoue des ambitions qui avaient été mises en veilleuse et devrait aussi faire revenir les pieds sur terre les fonctionnaires chafouins, aimant bien cracher dans la soupe qui leur sert pourtant de pitance.

L’addiction de l’économie luxembourgeoise au secteur financier révèle ses premiers signes de faiblesse. L’OCDE a d’ailleurs pointé du doigt cette semaine, dans ses Perspectives économiques1 la fragilité de pays comme le Luxembourg, très dépendant de ses banques ou de l’Espagne avec son secteur immobilier moribond.

Deux évènements sont intervenus à quelques semaines d’intervalle, qui devraient contribuer à la relance de l’activité maritime, dont personne ne parlait plus depuis le changement d’homme à la tête duCommissariat aux affaires maritimes (CAM), Robert Biever ayantremplacé Marc Glodt. Il s’agit en premier lieu des débuts opérationnels du Cluster maritime luxembourgeois (CLM), regroupant une quinzaine de firmes privées – à l’exception de la Chambre de commerce – aussi diverses que les consultants (PWC, Deloitte, Atoz et Ernst [&] Young), les chemins de fer (CFL Multi modal et CFL Cargo), les banques (ING, Dexia et Fortis), les cabinets d’avocat (Arendt et Medernach et Étude Marc Glodt) sans oublier les grandes entreprises maritimes (Dredging International, Jan de Nul, Intershipping et Cobelfret). Il manque sans doute des noms à l’appel, comme celui de la compagnie Cargolux, qui aurait dû avoir un petit strapontin dans le cluster dont le démarrage a pris pas mal de retard sur les plans initiaux (d’Land, 31/08/2007). On l’attendait en effet à la rentrée 2007. La présentation officielle est intervenue cettesemaine à la Chambre de commerce avec un plan d’action bien calé qui commencera en fanfare en février prochain avec une participation au Forum logistique et se poursuivra le20 mai avec l’organisation pour la première fois au grand-duchéd’une Journée de la mer.

Le programme est ambitieux. C’est sans doute la raison qui a poussé les fondateurs du CML à prendre leur distance avec l’agence de promotion Luxembourg for Business. « Le CML va parler aux stakeholders promotion, mais a ses propres stratégies qui sont complémentaires par rapport à ce que d’autres font », indique MarcGlodt, l’un des principaux artisans du groupement et ancien « patron » du CAM, reconverti depuis six mois dans le privé, à la tête d’une étude d’avocats qui porte son nom. 

L’autre nouvelle du front, non moins importante pour l’avenir dusecteur, est une décision de la Cour d’appel de Luxembourg tombéele15 octobre dernier, mais dont la copie vient tout juste d’être disponible. 

L’arrêt devrait contribuer à décomplexer définitivement l’activitéde la grande plaisance. Son développement avait été bridé depuis plus de dix ans en raison des incertitudes sur le traitement fiscal de certaines prestations à bord des mega-yachts, qui tombent dans la catégorie des navires de commerce, au même titre que les pétroliers, les porte conteneurs ou les ferries : il n’y a désormais plus aucun doute sur l’exonération de TVA – qui est normalement à 15 pour cent – de cette branche un peu spéciale de l’industrie de la mer, puisqu’elle est surtout au service des gens fortunés. Il est donc politiquement peu correct de bichonner cette fange de la population,alors que la crise frappe surtout les ménages à petit budget. Lajustice luxembourgeoise s’est en tout cas chargée de faire le boulot.

Les politiques avaient tout de même bien déblayé la route en adoptant fin 2006 un règlement grand-ducal, censé mettre fin aux tracasseries des propriétaires et gestionnaires de grands yachts, enmettant la TVA sur les services à bord à zéro, au lieu de 15 p.c. Mais les conditions exigées par l’administration étaient si draconiennes, que l’exonération ne valait que sur le papier.

Jeannot Krecké, le ministre de l’Économie et du Commerce extérieur, qui a le pavillon maritime dans son portefeuille, affirmait que le réglement avait été mis ent en place pour assurer l’épanouissement de l’industrie des navires commerciaux, à côté des dragueurs de Jan de Nul et des ferries de Cobelbret, les deux grands nom du secteur maritime au Luxembourg. « Je n’irai pas plus loin », disait le ministre LSAP dans un entretien au Land à l’été 2007,jugeant que le cadre législatif était désormais suffisant pour contenterles professionnels. 

Le coup de pouce, qui présumait d’office la navigation en haute merpour les grands yachts, alors que ses passagers bougent rarement desmarinas, ne fut toutefois pas suffisant pour dérider les toutpuissants dirigeants de l’AED, qui campent depuis des lustres sur des positionsfigées : pas question d’aider les riches à optimiser fiscalement leursdépenses occasionnées lors de déplacements sur des palaces en mer.Argument qui fut d’ailleurs repris par l’ancien ministre des Transports en 1999 et 2004, le DP Henri Grethen, l’homme politique qui est perçu par les milieux maritimes comme ayant causé le plus de torts à leur secteur. « Je ne connais pas une seule décision de la part de l’Administration de l’enregistrement et des domaines qui aurait accordé l’exonération de TVA, en dépit du changement de la réglementation », déplorait toutefois un professionnel de la grande plaisance.

Il va désormais pouvoir respirer. L’Administration de l’enregistrement a perdu la bataille. La juridiction d’appel dans un arrêt du 15 octobre dernier a annulé les bulletins d’imposition qui refusaient l’exonération de TVA à une société de gestion de navires dont le yacht de plus de 27 mètres avec un équipage de trois à cinq personnes était immatriculé sous pavillon luxembourgeois, jusqu’à sa faillite. Les magistrats posent en substance le principe de la supériorité de la réglementation européenne sur les courtes vues des fonctionnaires du fisc : le règlement grand-ducal du 22 décembre 2006, qui avait remanié certains détails sur l’exonération de TVA des navires, reflète la volonté du législateur de se conformer à ladirective européenne de 1979. Et le texte européen, qu’appliquent depuis des années aux mega yachts les Français et les Néerlandais avec une TVA zéro, ne souffre d’aucune contestation. C’est un véritable camouflet pour les dirigeants de l’Enregistrement, tant sur le plan moral que financier, puisque le fisc devra rembourser des montants très importants aux sociétés maritimes sur plusieurs exercices comptables. 

Ce sera trop tard pour certaines sociétés, les plus petites, qui avaientpréféré mettre la clef sous la porte et aller immatriculer leurs bateauxauprès de juridictions plus clémentes plutôt que de se battre avec l’administration luxembourgeoise. Pour d’autres, il sera peutêtreencore temps de renouer avec un business, qui n’est pas – encore – à une vie près.

1 L’OCDE table sur une croissance négative en 2009 (-0,46 pour cent) et estime que la reprise  sera lente en 2010, avec une hausse du PIB de seulement 1,8 p.c. Le chômage fera une poussée inquiétante à 6,5 p.c. en 2009 pour se hisser à 9p.c. en 2010, selon les mêmes prévisions.

Véronique Poujol
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