Spectacle vivant

Les scènes solidaires et créatives

d'Lëtzebuerger Land du 11.09.2020

L’histoire, revisitée par le cinéma (Shakespeare in love, 1998), raconte que Richard Burbage, à la tête du théâtre The Curtain, un des premiers à avoir eu l’autorisation royale d’établissement, aurait dit au jeune William Shakespeare, dont le propre théâtre n’était pas encore construit : « Will Shakespeare has a play. I have a theatre. The Curtain is yours. » En cette rentrée culturelle marquée par les longs mois d’arrêt, l’annulation de pas loin de 500 spectacles et les indispensables règles de distanciation, plusieurs théâtres ont fait de cette citation un geste de solidarité à travers un « partage de plateaux ». Ainsi, les Théâtres de la Ville de Luxembourg et le Kinneksbond, centre culturel de Mamer – qui bénéficient de grandes salles - ont ouvert leurs portes aux petites structures privées que sont le Théâtre du Centaure, le Théâtre Ouvert Luxembourg et le Kasemattentheater dont les salles sont trop petites pour garantir distance et rentabilité.

Cet élan de solidarité, que les responsables voient comme « le début d’une collaboration durable entre nos établissements », se traduit par l’accueil à Mamer et au Théâtre des Capucins de plusieurs pièces produites par les trois autres. Dès ce samedi, c’est un collage de textes multilingues sous le titre Mort aux Cons ! qui sera joué aux Capucins. Fin du mois, le théâtre du centre-ville accueillera une création du TOL, Comme s’il en pleuvait (de Sébastien Thiéry dans mise en scène de Jérôme Varanfrain) et le mois d’octobre débutera avec Truckstop de Lot Vekemans, mis en scène par Daliah Kentges, proposé par le Centaure au Kinneksbond. D’autres pièces suivront jusqu’à la fin de 2020 dont nous reparlerons en temps et en heure.

Le projet le plus intéressant et le plus audacieux de cette rentrée est la commande de textes lancée par les Théâtres de la Ville de Luxembourg et le Kinneksbond « pour soutenir et dynamiser le secteur », explique Jérôme Konen à la tête du centre culturel de Mamer. Une opération qui a permis de « distribuer 46 cachets supplémentaires », comme le souligne Tom Leick, son homologue de la capitale. Huit auteurs et auteures ont été invités à écrire, pas forcément directement sur leur expérience du confinement et de la pandémie, mais sur leurs pensées, aspirations et interrogations sur le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain autour de trois thématiques : « Discours sur l’état d’urgence », « Hymne aux oublié.e.s de la crise » et « Inventaire des belles choses ».

Accompagnés par huit metteurs en scène et proposant des textes en quatre langues, les auteurs ont mis en évidence différentes constellations sur scène – de un à quatre personnages, en harmonie ou en confrontation – qui seront jouées sur quatre soirées, chaque fois de deux textes mis en espace et en voix dans un décor unique. Soucieux de venir en aide à tous les métiers de la scène, une scénographie a également été commandée après appel à projet, remporté par Julie Conrad. Son Is(o)lands est une proposition poétique et modulable en tissus semi-transparents qui isolent ou rassemblent les protagonistes.

La première de ces soirées de création sera donnée en français au Grand théâtre, les 18 et 19 septembre. Lola Molina signe Intérieur Nuit / Extérieur Kate que Marion Rothhaar met en scène. L’auteure y suit les difficultés de l’isolement d’une famille et surtout le sort de deux adolescents amoureux et confinés l’un sans l’autre. Contraction_s de Nathalie Ronvaux est un huis clos troublant où trois personnages tentent de leur mieux de se tenir à distance. Stéphane Ghislain Roussel en signe la mise en scène.

Suivront la paire Guy Helminger et Gintare Parulyte avec Wie ein König et celle formée par Romain Butti et Fábio Godinho pour la pièce Erop, un monologue joué par Raoul Schlechter. La soirée anglophone rassemblera Deliver Us d’Anna Leader, mis en scène par Richard Twyman et How Many Moons, Dolores ? signé par Elisabet Johannesdottir. Retour au français à la fin de l’année avec Marguerites de Tullio Forgiarini mis en scène par Aude-Laurence Biver et Le monologue de la vieille reine, un texte de Ian de Toffoli que Daliah Kentges mettra en scène.

« Beaucoup de sujets importants ont été oubliés ou mis entre parenthèse pendant la crise », soulignait Jérôme Konen pour présenter plus en détail « sa » saison au Kinneksbond. Il accueillera ainsi plusieurs spectacles qui pointent des maux de la société et travaillera en partenariat avec le monde associatif pour mieux valoriser ces soirées. On relèvera par exemple Ashes to Ashes (Zalmen Gradowski / Simon Wauters / Agnès Limbous), le témoignage d’un déporté à Auschwitz contraint de devenir tortionnaire de ses pairs ; Schtonk ! (Helmut Dietl / Ulrich Limmer / Harald Weiler) sur les fameux vrais-faux journaux intimes d’Hitler ; Toutes les choses géniales (Duncan MacMillan / François Walot) sur la résilience face au suicide ; ou Hen (Johnny Bert) sur les questions de genre et d’identité sexuelle.

La saison 2020-2021 est évidemment marquée par le report de plusieurs spectacles programmés pour les mois passés et qui n’ont pas pu voir le jour. « Nous avons tenus à maintenir nos engagements auprès des compagnies, même si c’est parfois avec des autres spectacles que prévu », explique Jérôme Konen. C’est le cas de la compagnie les Karyatides qui s’attache à passer à la centrifugeuse de grandes œuvres du répertoire classique pour en extraire des versions accessibles, vivifiantes. Cette fois, les figurines et objets donneront vie au monument de Victor Hugo, Les Misérables. On retrouvera avec plaisir les Belges du Collectif Mensuel qui reviennent après Blockbuster, pour nous raconter les mésaventures de la planète bleue, en version miniature dans Sabordage.

Alors qu’elle est une habituée des lieux, la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin a renoncé à présenter We wear our wheels with pride car sa troupe ne peut pas voyager pour cause de covid. Un autre de ses spectacles devrait trouver place dans la programmation. C’est pour éviter un deuxième report que les Australiens de Circa viendront en mai avec leur impressionnant spectacle acrobatique. Bells ans Spells, un spectacle onirique et magique de Victoria Thierrée Chaplin et Aurélia Thierrée — respectivement fille et petite-fille de l’illustre Charlie Chaplin, un concert de CHAiLD, l’émergence pop luxembourgeoise, Play Smart !, une création de United Intruments of Lucilin qui joue avec les nouvelles technologies et l’interaction, de la danse dans les appartements de la commune de Mamer confirment encore l’éclectisme de cette programmation.

www.kinneksbond.lu

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