Poncelet, Alain ; De Roose, Vincent: Catharsis

Noir, c’est noir

d'Lëtzebuerger Land du 10.02.2012

La bande dessinée est adulte depuis le début des années 1970. Et pourtant, le huitième art se coltine toujours l’image d’un médium puérile. Bien que le 34e Festival de la BD d’Angoulême ait cette année consacré l’auteur/dessinateur Art Spiegelman, dont l’album Maus est considérée comme une référence dans le domaine de l’évocation de l’holocauste, les albums de BD et même les romans graphiques se voient toujours et régulièrement diminués en « Mickymausen ».

Dans ce contexte, il est intéressant de signaler la parution de Catharsis, de Vincent De Roose (textes) et Alain Poncelet (dessins). Cet album est constitué d’une suite d’images grattées, partiellement oblitérées d’éclaboussures d’encre de chine et noircies par un fusain opaque. Un vocabulaire plastique qui, en-lui même, traduit le sujet du livre. Alain Poncelet a supprimé les cases et leur carcan narratif linéaire. En choisissant parmi les textes apparemment autobiographiques de Vincent De Roose, le dessinateur luxembourgeois qui vit et travaille en Belgique, a fabriqué un livre d’images qui se suivent mais qui ne se ressemblent pas. Catharsis est un bouquin qui se feuillette, se regarde et se lit en faisant des allers-retours sur du Munch en version métal et des planches de Rorschach détournées en papillons gothiques.

Alain Poncelet a grandi avec les premiers albums de Pratt, de Moebius et de Tardi, il est un rejeton de la section E qui a su éviter le purgatoire de l’éducation artistique en faisant du dessin son véritable métier. En 1987, Iron Maiden, Clive Barker et Blade Runner formaient les bases d’un imaginaire visuel qui permettait de réinventer le dessin, autrement que pour une affiche bien pensante d’Amnesty international. Aujourd’hui Poncelet a filtré, condensé et transformé cet univers à travers une Catharsis qui est la promesse d’autres albums à venir.

Au Luxembourg, la BD continue à se réduire à Superjhemp et au Festival de la BD à Contern. La culture de la BD est essentiellement importée de France et de Belgique. Même le Mudam s’y était mis, à l’époque ou Marie-Claude Beaud avait demandé à Jochen Gerner de réaliser un travail de commande pour la collection du musée luxembourgeois. Gerner fait partie d’une génération d’auteurs et dessinateurs qui ont essayé de repenser la BD vers le début des années 1990. Son travail au Mudam consiste en un recouvrement à la gouache, des meubles et objets du catalogue Ikea 2007. Il n’a laissé que les textes et des surfaces grises noires et blanches, proches d’une perspective cavalière complètement abstraite.

Ces deux exemples (Superjhemp et Gerner) illustrent bien les extrêmes de la création du comic strip actuel. Au-delà des cartoons de Roger Leiner, il y aurait bien les personnages standardisés et modulaires de Sumo – mais celui-ci ne s’est jusqu’à présent pas encore aventuré dans le domaine de la narration, si particulière pour la BD.

Une BD rentable est un album qui se vend à plus de 50 000 exemplaires et les éditeurs indépendants comme l’Association se financent en grande partie par des succès exceptionnels comme Persepolis de Marjane Satrapi. Alain Poncelet est un passionné qui pense pouvoir publier son prochain roman graphique, intitulé Rupture(s) encore cette année. Avec ses copains de la maison des Inéditables, il pense être présent à Angoulême en 2013.

Vincent De Roose & Alain Poncelet : Catharsis ; ISBN 2-9600865-4-6 ; 17 euros, www.lesineditables.com.
Christian Mosar
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