Année européenne du patrimoine

Back to the future

d'Lëtzebuerger Land vom 18.05.2018

Difficile de ne pas se demander parfois pourquoi le mot « patrimoine » est si mal connoté, à l’instar de son collègue « musée ». Il sent la poussière, le passé – pire ! le passéisme. On a de cesse de vouloir le relooker, le reconceptualiser, le rendre plus attractif. On n’hésite pas à le « tridimensionnaliser » à grand renfort de logiciels, d’applications ou de masques virtuels dernière génération. Pourtant tout le monde connaît son importance, ne serait-ce qu’en théorie. On sait qu’hier explique aujourd’hui et donne des pistes pour demain. On sait que les leçons du passé ne doivent en aucun cas être oubliées sous peine de refaire les mêmes erreurs. Ce sont des refrains bien connus dont on nous serine dès le plus jeune âge.

Pourtant, tout ce que nous avons hérité du passé semble devoir se mettre en quatre pour séduire. Il lui faut être à la mode, donc moderne, donc actuel et actualisé. L’Europe l’a bien compris ; la Commission européenne dédie cette année 2018 au patrimoine culturel (en 2014, c’était le gaspillage alimentaire et en 2007, l’égalité des chances…). C’était déjà arrivé en 1975, l’architecture était alors mise en valeur. Mais cette année, un vent neuf souffle sur la notion de patrimoine culturel et tente de le dépoussiérer : on le souhaite futuriste. « Our Heritage : where the past meets the future » est le slogan officiel de cette édition. Et en bon élève, le Luxembourg l’applique à la lettre. « Il faut investir sur le futur », explique Guy Arendt (DP), secrétaire d’État à la Culture, « et je suis persuadé que nous continuerons à suivre certains projets l’année prochaine pour pérenniser la situation et continuer à sensibiliser l’opinion publique ».

La coordination luxembourgeoise se fait au niveau du ministère de la Culture. Trois thèmes ont été mis en avant lors de l’appel à projets nationaux en septembre 2017 : l’éducation et la sensibilisation (évidemment), le développement durable (?) et les technologies (nouvelles, bien sûr). Si le premier et le troisième thèmes coulent de source, le deuxième interpelle : le rapport entre patrimoine culturel et développement durable ne saute pas forcément aux yeux. C’est d’ailleurs le thème qui a inspiré le moins de projets pour l’instant. Plus de 120 ont obtenu le fameux label « année européenne du patrimoine culturel 2018 » jusqu’ici. Parmi eux, seuls onze sont classés « développement durable » (l’onglet « technologie(s) » récolte lui une toute petite vingtaine de projets), principalement des conférences portant sur l’aménagement ou éventuellement la réaffectation de lieux présentant un intérêt historique ou naturel. Mais attention, ce n’est pas fini : les coordinateurs attendent encore d’autres candidatures. « Toute l’année, les projets peuvent être acceptés, à condition de rentrer dans le sujet. Plus on est de fous… », sourit Guy Arendt.

Quant au profil des porteurs de projets, il est varié. « Les musées ont tout de suite collaboré spontanément, ils ont été très réactifs. Mais tous les types d’acteurs culturels sont représentés. J’ai même été étonné du nombre de projets indépendants de toute institution, c’est quand même la preuve que la communication a été bien faite ! », souligne-t-il.

À ceux qui décrochent le label, on promet visibilité accrue et « recognition de leur qualité » (cf. www.touteleurope.eu) grâce aux portails de communication institutionnels mis à leur disposition et les agendas en ligne. Parfois même un soutien d’ordre financier « mais uniquement dans le cas des projets dont la thématique est labélisée durable » précise le Secrétaire d’État à la Culture.

Les objectifs globaux d’une telle initiative sont déjà atteints selon Guy Arendt, qui évoque les échos positifs des projets déjà passés. « C’est au patrimoine général que nous essayons de sensibiliser le public. Il est diversifié, il peut être d’ordre matériel ou immatériel », précise-t-il. « Un excellent exemple de cet aspect multifacettes est l’exposition (Un)expected Treasures, actuellement au Naturmusée, une formidable collaboration entre toutes les institutions culturelles. Son succès en témoigne : je pense que nous réussissons à sensibiliser la population. Je suis confiant : on remarque que les gens prennent de plus en plus conscience de leur patrimoine. Maintenant, c’est surtout les jeunes que nous voulons atteindre, il faut faire passer le message que le patrimoine, c’est comme les ressources naturelles, on ne le renouvelle pas. Une fois qu’il est détruit, il est détruit. Et les jeunes, c’est le futur. »

En cette année 2018, gageons que les débats suscités par le patrimoine culturel et sa préservation iront bon train. On ne peut que s’en féliciter. « La mise à neuf est quand même nécessaire, ne serait-ce que pour assurer la protection du site soumis aux dégradations du temps, explique Guy Arendt. Chaque bâtiment, chaque vestige a une histoire à raconter. Faut-il pour autant tout garder ? Non. Certainement pas, mais il faut laisser des phares. Nous étions une population agricole, gardons des fermes authentiques, même remises à neuf. Nous avons aussi pas mal de châteaux, dans la mesure du possible gardons-les, restaurons-les pour qu’ils puissent raconter leur histoire. Nous sommes devenus un pays d’industries, il y a partout des témoignages qu’il faut protéger. C’est aussi ça la question de la sensibilisation : raconter toutes ces histoires ». C’est dit.

Il est possible de contacter l’équipe de coordination de l’année européenne du patrimoine culturel à Luxembourg via les sites suivants : www.patrimoine2018.lu / www.facebook.com/Heritage4Future/ et www.twitter.com/Heritage4Future

Romina Calò
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