Régime pénitentiaire à visage humain

Porte tournante

d'Lëtzebuerger Land du 05.11.2009

Le ministre de la Justice, François Biltgen (CSV), définit le principe du régime pénitentiaire à visage humain – tel qu’il a figuré dans le programme électoral de son parti – comme « l’idée qu’un détenu, qui a subi sa peine, puisse sortir de prison dans de meilleures conditions qu’avant. L’objectif est qu’il ne dérive pas davantage dans un milieu criminel. C’est aussi une question de sécurité de la société. » Il faut donc empêcher la récidive. Ambitieux programme.

Stefan Braum, professeur en droit de l’Université du Luxembourg (dont un rapport a créé la polémique la semaine dernière sur les ondes de RTL), emploie l’image d’une porte tournante, où le détenu risque de rester coincé à sa sortie et de retourner automatiquement en prison. Il faut éviter ces espèces de « portes-tonneau », dont les cloisons ne permettent pas d’en sortir. Or, le Luxembourg ne dispose pas de chiffres concernant la récidive, comme le fait aussi remarquer le médiateur Marc Fischbach. Ses services disposent d’une antenne au centre pénitentiaire depuis deux ans et après le vote du projet de loi 5849, il sera chargé du contrôle externe de toutes les institutions fermées1. Pour lui, les données statistiques devraient être du ressort d’une direction générale interne des établissements pénitentiaires, chargée d’élaborer des concepts globaux de gestion et de la sécurité, d’une stratégie de communication vers l’extérieur et de la détermination des budgets. Libérés de ces tâches-là, les directeurs pourraient alors s’occuper de la gestion journalière de leurs établissements et intervenir sur le terrain. Ceci permettrait aussi d’éviter la multiplicité d’intervenants extérieurs. Le Parquet général – dont la fonction principale est de mener les poursuites – ne serait plus en charge de la direction générale extérieure, le seul responsable de la surveillance et de l’exécution des peines. Selon le médiateur, celle-ci devrait faire plutôt l’objet de procédures contradictoires devant des magistrats indépendants. 

Ce ne sont que de grands principes et de belles paroles, déconnectés de la réalité du terrain, critiquent les mauvaises langues, la vie de tous les jours des détenus est caractérisée par la morosité, la misère psychologique soulagée par la drogue et l’abus de médicaments, l’oisiveté et le manque de perspectives à la sortie de prison. Les détenus seraient à la merci de caïds qui font la pluie et le beau temps et de certains gardiens qui se comportent comme de petits Napoléon, rapportent-ils. Quatre morts en l’espace de quelques mois dont les causes n’ont pas encore trouvé d’explication viennent noircir ce tableau déjà bien sombre. 

Depuis quelques années, la politique carcérale a été adaptée aux besoins du terrain, se défend Vincent Theis, le directeur du centre pénitentiaire de Schrassig. Ce qui signifie qu’au bout de douze ans, la politique d’embauche au compte-goutte du personnel encadrant les détenus est en train de porter ses fruits. Le volet médical et psychiatrique a été renforcé par la collaboration avec le Centre hospitalier de Luxem­bourg et le Centre hospitalier neuro-psychiatrique d’Ettelbruck. « Actuelle­ment, nous comptons une cinquantaine d’intervenants dans le domaine de la santé, ajoute le directeur, et je puis affirmer que sur ce point-là, nous avons atteint une équivalence de la qualité des soins avec la population non carcérale. » Avec le recrutement de trois assistantes sociales, le service psycho-socio-éducatif (SPSE) comptera sous peu seize personnes. « Cela permet de faire du bon travail, mais l’idéal serait 25 personnes, » dit Vincent Theis. S’y ajoutent huit enseignants pour 180 détenus inscrits aux cours proposés, cinq moniteurs sportifs, des assistants spirituels et religieux, le travail en réseau avec des organisations non-gouvernementales – le centre pénitentiaire a émis des autorisations d’entrée à quelque 180 intervenants extra-pénitentiaires et une quarantaine de visiteurs bénévoles. 220 détenus travaillent dans les ateliers et à la buanderie centrale. 

Qu’est-ce qu’on attend alors pour être heureux ? La surpopulation carcérale n’est plus aussi grave qu’en 2007, où 704 détenus devaient se partager la place. Ils sont aujourd’hui presque 600. Le directeur de Schrassig parle de surpopulation à partir de 540 détenus à cause de leur composition et l’obligation de séparer les personnes selon les sexes, majeurs, mineurs, condamnés, prévenus, retenus. « Dans ce contexte-là, l’établissement pénitentiaire n’est pas en mesure de poursuivre sa mission, note Vincent Theis. La resocialisation des personnes en souffre sans proportions. »

Le gouvernement a lancé de gros projets pour pallier cette situation. Si tout avance comme prévu, la maison d’arrêt de Sanem devrait être prête pour 2016. Elle pourra accueillir 400 personnes en détention préventive – en majorité des étrangers en situation irrégulière, sans domicile fixe au Luxembourg et sans papiers. Beaucoup d’Africains – les « esclaves du XXIe siècle », selon Vincent Theis – qui ont payé d’énormes sommes pour passer en Europe et qui sont systématiquement exploités par des réseaux du trafic de drogue. Arrêtés au grand-duché, ils ne peuvent ni bénéficier de mesures de liberté en attendant leurs procès, ni de dispositions alternatives après leur condamnation. 

Le centre de rétention au Findel accueillera une vingtaine de personnes déboutées qui devront quitter le territoire. Le centre pénitentiaire semi-ouvert de Givenich est en train d’être aménagé pour accueillir des femmes qui ont été jusque-là discriminées par rapport aux hommes qui ont la possibilité de passer la fin de leur peine en semi-liberté. Enfin, l’Unité de sécurité pour mineurs à Dreiborn pourra héberger une douzaine de jeunes qui ont été incarcérés jusque-là au centre pénitentiaire. Cepen-dant, la question de savoir si cela permettra d’éviter l’incarcération de mineurs à Schrassig reste entière.

Seize millions d’euros sont investis pour renforcer la sécurité autour de la prison : caméras de surveillance, fils barbelés, protection hélicoptère. Vincent Theis souligne sur ce point aussi l’aspect positif des choses : ces fortifications à l’extérieur servent à augmenter la liberté de mouvement à l’intérieur des murs.

« Les installations techniques dernier cri servent certainement à augmenter la sécurité de la population en dehors des murs, concède le professeur Stefan Braum, mais la prochaine étape devra être davantage un investissement dans l’accompagnement social et thérapeutique pour permettre l’intégration, la réinsertion de l’ancien détenu dans la société. » Des progrès ont été réalisés ces dernières années, tout comme il y a eu des avancées en matière d’efficacité administrative, dit-il. Un prochain défi sera l’élaboration d’un véritable code pénitentiaire qui regroupe tous les textes éparpillés concernant la pénologie. Ceci signifie qu’il faudra débroussailler tout le droit pénal. Pour Stefan Braum, l’instant est propice pour créer une nouveauté européenne qui pourrait servir de modèle. Le ministre François Biltgen voudrait aussi redéfinir tout ce qui tombe sous le droit pénal et ne retenir que ce qui met en danger l’ordre public. « Il faut analyser si tous les petits délits doivent forcément mener à une peine de prison, estime le ministre. Un déblaiement permettrait aussi de délester les tribunaux. » Dans le même ordre d’idées, le ministre compte étoffer l’arsenal des peines alternatives, comme les travaux d’intérêt général, le bracelet électronique ou d’autres mesures de libération conditionnelle. Car elles ont l’avantage d’éviter l’effet de privation des détenus qui, une fois libérés, ont perdu les capacités de gérer eux-mêmes leur vie quotidienne. 

Selon le professeur de droit Stefan Braum, il faut placer cette évolution dans le contexte européen. Après des années de dérive sécuritaire et de politiques répressives « zéro tolérance », les États-membres seraient en train de se repositionner. « La balance est en train de basculer vers l’autre côté. La tendance sécuritaire a eu pour effet l’augmentation de la répression pour des délits mineurs partout en Europe, explique-t-il. Avec, à la clé, des peines plus lourdes, le recours renforcé à la détention préventive et une libération plus tardive. Cela a augmenté la pression dans les prisons. » Les concepts pour la réintégration des anciens prisonniers ont été délaissés. Le Luxembourg présente la spécificité qu’il est un pays transitoire pour le crime organisé comme le trafic de drogue ou la traite des êtres humains. Ce qui explique l’augmentation du recours à la détention préventive. 

Or, les libertés fondamentales en ont pris un coup et l’objectif des 27 est maintenant de rétablir l’équilibre. Le Programme de Stockholm, qui sera adopté lors du Conseil européen le mois prochain, a formulé quelques priorités comme la protection des droits fondamentaux des citoyens européens – adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme, lutte contre les discriminations, protection des données personnelles –, la reconnaissance transfrontalière des actes juridiques, l’élaboration d’un socle commun de normes en matière d’infractions graves et des normes minimales en matière de justice civile. D’autres points à l’ordre du jour seront la coopération policière, le renforcement d’Europol, le développement d’Eurojust et le renforcement de la solidarité entre États en matière d’immigration et d’asile. 

Le ministre de la Justice souhaite lancer une « réflexion plus philosophique » sur la politique carcérale à l’avenir. Ce sera un des gros dossiers qu’il compte traiter en priorité. Mais avant, il voudrait s’affranchir de la transposition de directives européennes et des dossiers de politique sociétale comme le droit à l’adoption, l’avortement et le mariage homosexuel. Il annonce des projets de loi pour début 2010. 

1 La semaine prochaine, la Commission juridique du parlement a mis à l’ordre du jour le projet de loi portant approbation du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adopté par l‘Assemblée Générale de l‘Organisation des Nations Unies à New York le 18 décembre 2002 et (2) modifiant la loi du 22 août 2003 instituant un Médiateur

anne heniqui
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