Chronique Internet

Fishing expedition

d'Lëtzebuerger Land du 18.08.2017

Le ministère de la Justice américain a exigé du fournisseur d’accès à Internet (FAI) DreamHost qu’il lui remette les coordonnées de quelque 1,3 million d’internautes ayant consulté un site web hébergé sur ses serveurs. Ce site, disruptj20.org, avait été créé pour coordonner les manifestations anti-Trump lors de l’investiture du 45e président des États-Unis le 20 janvier dernier. Selon l’injonction, DreamHost est censé fournir au ministère toutes les adresses IP des visiteurs du site, ainsi que les coordonnées, contenus d’emails et photos de milliers de personnes. Parmi les contenus demandés figurent aussi des documents non publiés comme des photos ou des brouillons d’emails rédigés par les administrateurs du site.

Le FAI n’entend pas se laisser faire : il a rétorqué sur son blog qu’il considère la demande comme étant « très peu ciblée et allant à l’encontre de la liberté d’association et de la liberté d’expression garanties par la Constitution ». DreamHost ajoute que ces informations permettraient d’identifier « tout individu ayant utilisé ce site pour exprimer des opinions pollitiques protégées par le premier amendement » et que cela devrait suffire pour « tirer la sonnette d’alarme dans l’esprit de tout un chacun », sans parler du non-respect des clauses protégeant les données privées.

Le FAI indique être en contact avec l’Electronic frontier foundation (EFF) au sujet de cette requête. L’EFF ne représente pas DreamHost dans cette affaire, mais a estimé sur son blog que les méthodes du ministère de la Justice sont inconstitutionnelles. Dans un premier temps, DreamHost a cherché à réduire la cible de la requête, mais le ministère a répondu par une injonction, obtenue auprès d’un tribunal supérieur, sommant le FAI de fournir l’ensemble des informations demandées. Le site reste en ligne mais n’est plus actif depuis le mois de mars : Il invite les visiteurs à se rendre sur un autre site d’opposition à l’administration Trump, resistthis.org.

Le prétexte du ministère est des plus minces. Les manifestations contre l’investiture avaient rassemblé des foules conséquentes à Washington et dans d’autres villes américaines, au grand dam de Donald Trump qui avait cherché, contre toute évidence, à nier leur ampleur. Quelques incidents avaient émaillé ces manifestations et des dégradations avaient été commises, notamment dans la capitale fédérale. Plus de 200 personnes avaient été arrêtées et leurs téléphones fouillés. Exiger les coordonnées de toutes les personnes ayant ne serait-ce que consulté le site relève clairement de ce que les juristes américains appellent une « expédition de pêche » ; une démarche d’autant plus troublante que l’ensemble des activités organisées à travers le site relevaient de la liberté d’expression.

Bien que remontant à plusieurs mois, cette requête clairement abusive de l’administration américaine n’a été révélée que cette semaine par une communication du FAI. Elle en dit long sur le peu de scrupules dont l’administration Trump s’embarrasse lorsqu’elle entend identifier des opposants, même en l’absence de crimes ou délits qu’elle pourrait leur reprocher. Ainsi, une requête analogue avait été adressée à Twitter en mars dernier après la publication de tweets par @alt_uscic, un de ces comptes « alternatifs » par le biais duquel s’étaient exprimés des fonctionnaires anonymes, notamment ceux chargés du contrôle des frontières (Customs and border protection, CPB), en désaccord avec les pratiques de l’administration. En l’occurrence, le nom de ce compte évoque les services de citoyenneté et d’immigration.

Cette démarche avait été révélée en avril, lorsque Twitter avait porté plainte contre la requête introduite par la CPB qui demandait qu’on lui fournisse les numéros de téléphone, adresses email et adresses IP associés à ce compte Twitter. Dans ce cas, son détenteur s’était fait représenter par l’ACLU (American civil liberties union), qui a fort à faire ces temps-ci. Clairement, face à une administration américaine prête à tout pour identifier et mettre au pas les opposants, la protection des données personnelles des internautes devient un enjeu primordial de libertés publiques pour les FAI et les réseaux sociaux.

Jean Lasar
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