Jamais aucun projet sous signature Nicool ne nous a déçu. Ajoutez à ses ambitions le talentueux compositeur Luca Sales, l’immense chanteuse soprano Stephany Ortega et une équipe de production hors norme garnie de Charles Stoltz au mix et Tom Gatti pour le master et vous obtenez l’un des disques les plus ambitieux de l’industrie musicale luxembourgeoise de cette dernière décennie, voire au-delà, mais ne fâchons personne…
Depuis un certain temps Nicool avait à cœur de rompre le silence autour d’événements marquants qui ont rythmé sa et nos vies. Chercher un sens au vacarme ambiant dans lequel nous sommes plongés depuis trop longtemps constituait l’idée première de Nicole Bausch dans la création de Liewen. Avec ce nouveau projet, elle signe une aventure musicale sensible, d’une grande humanité, une manière pour elle de faire confession protégée par les notes d’un piano sculptant ses mots.
Le choix du piano n’est pas anodin. Machine à sensible, et fragment d’âme, pour donner forme à ses mots, Nicool choisi la virtuosité de Luca Sales. Ils étaient camarade de lycée, ils sont maintenant tous deux musiciens, lui émigré à Bruxelles, elle implantée à Luxembourg, chacun d’eux respectés dans leur scène respective que sont le jazz et le hip hop. Ensemble ils créent Liewen, pas juste un disque, mais plutôt une façon d’exorciser leurs maux, en disséquant musicalement ce que nous sommes aujourd’hui, en tant qu’humain. Ainsi, ce Liewen est né dans les entrailles de ce vieux monastère reconverti en laboratoire de création spectaculaire qu’est aujourd’hui Neimënster. Un confort notable, à l’abri de ces murs centenaires, qui a profité à l’équipe de création.
Nicoles Bausch, Luca Sales et Stephany Ortega, et la violoncelliste Beatriz Jiménez collaborent pour une ballade piano-slam-lyrique très équilibrée de 32 minutes pour neuf morceaux, dans laquelle chacun des artistes s’écoute et se répond. Et si on entend la douce collision de leurs univers artistiques, c’est pour mieux profiter de l’association qui fait se frotter les compositions de Sales à la voix claire et fragile de Nicool pour que Ortega et Jimenez viennent y ajouter leur lyrisme naturel. Et dans ce projet entre révolte et rêve, tout est fait pour nous faire perdre pied et même sans comprendre l’intégralité des paroles, on flanche, l’émotion nous submerge.
C’est cru, franc, humain et les textes rassemblés dans un livre recueil parlent d’elles-mêmes. Ce livre bilingue et illustré, Nicool l’a pensé comme un guide de son album. Construit en collaboration avec le dessinateur Henri Schoetter, il abrite les paroles originales des chansons en luxembourgeois et leur traduction en anglais. Un outil salvateur pour ceux qui n’ont pas la chance de comprendre le luxembourgeois. Une deuxième moitié du livre est consacrée à des pages blanches laissant libre court à l’inspiration qu’aura offert l’album au public pour que lui aussi « écrivent ses propres paroles ».
Alors, il s’agit de comparer le comparable et si Kae Tempest vient rapidement en tête, on y entend aussi du Agnes Obel, dans la douceur des harmonies au piano qui font flotter les textes de Nicool, des récits qui rappellent Patti Smith dans le dire vrai, sans filtre, sans masque, dans un mélange puissant entre poésie et colère. Pourtant, ce qu’on entend véritablement dans ce disque c’est du Nicole Bausch absolument et précisément déshabillée de son blase qui la mettait à couvert. Cette fois, Nicole – on se permet la familiarité tant l’album nous place au plus proche des artistes – se montre elle, et transforme sa douleur en lumière musicale.
L’ouvrage musical en présence se vit comme une expérience personnelle. La proposition est certes acerbe et structurée dans la pensée de Nicool et sa propre catharsis mais son propos est assez proche de nous pour que sa vulnérabilité nous envahisse tous. La résonnance de Liewen est universelle car le disque convoque des thèmes existentialistes tels que la perte, la reconstruction et la quête de sens.
Liewen est ce genre de projet musical qui invite à un exorcisme feutré et permette de trouver une fraiche lucidité dans ce monde en plein lymphatisme. L’album est la preuve que l’art peut encore oser et devenir un objet de guérison aux blessures de l’esprit. Il est un projet artistique authentique et bouleversant dans son récit et dans ce que Nicole Baush y met d’elle-même et enfin, il montre une rigueur formelle qui évite à l’équipe de sombrer dans le pathos. « Liewen », pour « vie » traduit du luxembourgeois, est un disque rare, un manifeste émotionnel déguisé en chanson qui célèbre la vie.
Et ainsi, naturellement, elle finit son disque à nu, avec la piste De Bierg. Un titre dépouillé, posé au micro sans accompagnement, comme si elle nous donnait un dernier mot avant la fin, une dernière poésie pour apaiser nos cœurs meurtris et sécher nos larmes. « Le soleil projette ses rayons sur ma peau / Je vois une minuscule souris oser quitter son petit trou / Un reste de confiture posé sur ma langue / Je sens la fraîcheur du pâturage – j’y suis », écrit-elle dans cette traduction de l’anglais. Et en effet, elle y est dans ce rare niveau de grâce qu’atteint un artiste et elle va y rester, on l’espère.