Chronique Internet

Twitter facilite les tweets visuels

d'Lëtzebuerger Land du 15.03.2019

Cela fait plus de huit ans que les visuels ont commencé à prendre une place prépondérante dans nos communications. Sans même parler de Pinterest ou Tumblr, voués par design au partage d’images, Facebook, Instagram et Snapchat ont progressivement donné une place si centrale à l’image, animée ou non, qu’il est devenu difficile d’envisager d’y poster autre chose. Dans les interminables carrousels visuels que sont devenus nos flux de réseaux sociaux, même les posts qui se résument à annoncer à un groupe la date et le lieu d’une réunion ou d’un événement sont présentés sous forme de l’image du texte que l’on veut partager, afin d’occuper plus de place et de donner une chance à l’information d’être perçue dans le flot des innombrables photos et clips qui cherchent à capter notre attention.

Face à cette surenchère du tout-visuel, Twitter avait jusqu’ici quelque peu résisté. Certes, on pouvait y publier des photos et des clips (limités à deux minutes), mais le texte restait malgré tout au centre de la plateforme, l’image y assumant la plupart du temps un rôle de support ou d’illustration. Très tôt, certains de ses utilisateurs, gênés par la taille maximale de 140 caractères des tweets adoptée par Twitter à ses débuts pour coller à la taille autorisée des SMS dans la norme GSM, avaient découvert l’astuce de joindre la photo ou la capture d’écran d’un texte pour parvenir à publier en un tweet des textes bien plus longs. C’est d’ailleurs la décision de Twitter de porter la limite des textes de 140 à 280 caractères qui avait déclenché l’an dernier un débat homérique sur la plateforme entre tenants et détracteurs de cette innovation, passée depuis dans les mœurs.

Twitter prend-il lui aussi désormais le chemin du tout-visuel ? Dans la nouvelle version de son app, décrite par Wired, un swipe permet d’accéder directement à la caméra du téléphone pour capter et publier une photo ou un clip vidéo (jusqu’à 2 minutes et 40 secondes) ou pour passer en live. Le site de micro-blogging semble donc céder à son tour aux sirènes du tout-image. La géolocalisation des contenus ainsi partagés sera suggérée (pour peu que l’utilisateur l’ait activée), mais l’application proposera en plus les hashtags d’événements proches correspondant à cette localisation, spectacle, match ou manifestation par exemple. Certes, on pouvait déjà parvenir aux mêmes résultats depuis un appareil mobile, mais il était moins aisé d’accéder à ces fonctionnalités, et le recours à des apps extérieures pouvait s’avérer décourageant lorsqu’on était en déplacement ou au milieu d’une foule.

La question fatidique qui se pose à présent est de savoir si, en embrassant ainsi à son tour le culte de l’image, Twitter est en train de vendre son âme et de rejoindre la meute des plateformes qui veulent nous faire partager l’image de notre nombril avec le monde entier ou s’il va plutôt parvenir à conforter son rôle de carrefour des reporters-citoyens. Twitter étant déjà l’outil préféré des journalistes, le fait d’enrichir la palette des moyens de reportage en temps réel ou en différé à disposition de ses utilisateurs pourrait lui permettre d’asseoir sa fonction de chambre de compensation mondiale des news. Mais comment écarter le risque que Twitter, en ressemblant de plus en plus aux plateformes qui ont mis l’image au centre de leur expérience utilisateur, perde sa spécificité ? Ne serait-il pas plus pertinent pour Twitter de favoriser le texte comme forme centrale de communication et de concentrer ses efforts à identifier et écarter les bots et autres diffuseurs de fake news ?

Jean Lasar
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