Théâtre

Rita ou l’apprentissage de la vieillesse

d'Lëtzebuerger Land du 03.01.2020

Cette année, et pour la première fois depuis plus d’une décennie, les Chrëschtdeeg am Theater ont changé de nom pour devenir Chrëschtdeeg an de Rotonden, alors que les Théâtres de la Ville, partenaire depuis le début de la manifestation, ne se sont pas embarqués dans l’édition 2019 de ce désormais traditionnel festival de théâtre jeune public de fin d’année. Pour ce cru piloté par la seule équipe des Rotondes, l’idée a été d’investir pendant quatre jours (du 27 au 30 décembre) l’ensemble du site en misant sur une offre élargie d’ateliers (ils ont fait le plein), tout en continuant à proposer de savoureux spectacles multidisciplinaires d’ici et d’ailleurs dont un opus présenté hors les murs.

À l’affiche les 28 et 29 décembre, Rita a été donné dans la grande salle des Rotondes. Ce spectacle dédié aux jeunes, mais pas seulement, est signé par un duo d’artistes belges : le chorégraphe, metteur en scène et danseur Randi De Vlieghe, familier du public luxembourgeois pour avoir collaboré avec Jean-Guillaume Weis, et Jef Van gestel, acteur, metteur en scène et membre fondateur du collectif Tuning People. À la croisée du théâtre, de la danse et de la performance, Rita s’empare d’un thème difficile, la vieillesse, avec ses corollaires, la solitude, la dépendance, l’affaiblissement, la dégradation physique et mentale, interrogeant par là-même notre rapport aux personnes âgées, la place et le traitement que la société leur réserve. Rita est une belle surprise, Randi De Vlieghe et Jef Van gestel livrant un étonnant spectacle, grave et léger, cru et sensible, triste et drôle, subtilement décalé. Le public, interpellé tout au long de la représentation, est invité à vivre une histoire émouvante qui touche à l’universel.

Cette histoire est celle de Rita, personnage créé en 2015 par les deux artistes pour leur spectacle Voetbal op Hoge Hakken (« Football sur hauts talons ») et depuis revisité. Rita (Randi De Vlieghe) est une femme vieillissante qui a un sens prononcé pour le mélo, elle vit seule, cloîtrée chez elle, avec pour unique compagnie celle de Martino (Jef Van gestel), son aide-soignant attentionné mais psychorigide. Tout semble opposer ces deux êtres pourtant inséparables. Rita cherche à déserter l’ennuyeux quotidien en se réfugiant dans son monde à elle, fait d’opéra et de danse, de maquillage et d’extravagance, univers toujours plus déconnecté d’une réalité marquée par les sempiternels repas, médicaments, toilettes, ménages, mots croisés et autres bingos, où la ramène continuellement Martino avec des mots secs ou des expressions infantilisantes. Sans parler, avec des regards expressifs et des gestes précis, le comédien-danseur Randi De Vlieghe confère à cette Rita là une extraordinaire présence scénique donnant corps à ses désirs et ses confusions, ses maux et ses douleurs, ses excès et ses maladresses, ses folies et ses cauchemars.

La mise en scène s’appuie sur une scénographie efficace, une cuisine « mobile » qui se forme et se transforme au fil de scènes qui alternent fiction et réalité. Jeux de lumière, musiques (notamment les airs d’opéra qui emportent Rita), bruitages (comme ces sons qui évoquent une jungle imaginaire) créent des ambiances réalistes et des atmosphères fantasques, tout un monde de possibles où l’ordinaire se fait extraordinaire et où le bizarre devient banal, où les comédiens-danseurs jonglent avec l’infiniment grand et l’infiniment petit. Dans cet univers-là, les objets s’animent, un aspirateur déclenche un étonnant ballet au foulard rose, un frigo se fait caméra mobile laissant advenir un impressionnant théâtre d’ombres où Rita se révèlera, enfin libérée… Un spectacle fort et salutaire, une belle ode à la liberté. On en sort grandi !

Le spectacle Rita conçu et interprété par Randi De Vlieghe et Jef Van gestel, co-produit par Bronks & Tuning People, a été créé en septembre 2018 au théâtre jeune public Bronks à Bruxelles, où il sera notamment repris en mars 2020.

Karine Sitarz
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