Participation des femmes aux postes de pouvoir

L’écologie féministe en danger

d'Lëtzebuerger Land vom 11.03.2010

Chaque année, le 8 mars est célébré dans le monde entier comme la Jour­née internationale de la femme. Pour les femmes du monde, ce jour est une occasion pour passer en revue les avancées réalisées en matière de lutte pour l’égalité, la paix sociale et le développement. En d’autres termes, c’est l’occasion pour s’interroger sur la manière dont la condition de la femme a été améliorée jusqu’à présent. C’est aussi le jour pour réfléchir aux performances des gouvernements, aux bonnes pratiques et aux défis futurs. Pour les femmes du Luxem­bourg un autre jour important a été le 1er février 2010, quand le nouveau Plan d’action national (Pan) de l’Égalité des femmes et des hommes 2009-20141 a été présenté par la ministre récemment élue, Fran­çoise Hetto-Gaasch.

La présentation du Pan de l’Égalité a été précédée d’ateliers de travail où divers acteurs (représentants du pouvoir législatif, fonctionnaires, communes, partenaires sociaux, organisations non gouvernementales) ont discuté de leur rôle dans la mise en œuvre du Pan et des politiques d’égalité en général. Une présentation qui a autrement concentré les efforts pour montrer qu’il existe une forme de « féminisme durable » au Luxembourg, qui puisse être soutenue par des mesures dans divers domaines d’action politique. Cependant, pour le Pan de l’Égalité luxembourgeois, la participation des femmes dans la prise de décisions et dans la politique relève de la responsabilité des partis politiques et c’est à eux qu’il revient d’améliorer les chiffres.

Sur le sujet, les femmes et le leader­ship, la question apparaissant encore aujour­d’hui dans la plupart des sociétés européennes est la suivante: les femmes ont-elles finalement réussi à partager le pouvoir politique ? En fait, la tendance à la hausse des trente à quarante dernières années, donne au­jourd’hui l’impression que les femmes n’ont jamais eu auparavant, une meilleure position en politique. Plus de femmes dans les partis, plus de postes à responsabilité, des mesures comme des listes électorales paritaires, des « quotas » spécifiques dans les listes ou dans les gouvernements : enfin, un « féminisme durable » qui a semblé à la fois « juste » et « gender-equitable » avait commencé à apparaître.

Cependant, pour les postes politiques de haut niveau, les résultats doivent encore être améliorés. À la fin de 2009, pour les 27 États membres de l’UE, il n’y avait toujours que deux femmes Présidentes de la Répu­blique (en Fin­lande et en Irlande) et une femme Pre­mier Ministre (en Allemagne). Pour le reste des postes politiques, trois gouvernements comptent quarante à cinquante pourcent de femmes ministres (la Finlande, la Suède et l’Espagne) tandis que huit gouvernements ont plus de trente pour cent de femmes ministres (parmi lesquels le Danemark, l’Allemagne, la France, l’Autriche et le Royaume-Uni), ce qui s’apparente au pourcentage total de femmes dans le Parlement de l’Union européenne qui est également de trente pour cent2.

Même si ces chiffres indiquent une situation acceptable, dans les décennies futures, la situation actuelle peut être menacée par diverses tendances émergentes.

Depuis que le concept du « gender mainstreaming » est apparu à travers toute l’Europe – c’est-à-dire l’intégration d’une dimension de genre dans toutes les politiques générales –, nous assistons à un relâchement des programmes spécifiques visant à l’avancement des femmes en tant que groupe.

Preuve en est le dernier Pan de l’Égalité luxembourgeois. Pour la période des cinq prochaines années (2009-2014), le gouvernement a donné peu de preuves d’une politique concrète, puisque le Pan repose principalement sur une liste de propositions dans divers domaines d’action politique. Ce faisant, le Pan est plus une ligne directrice qu’un outil au service des partenaires sociaux ou des organisations non gouvernementales actives dans le domaine de l’égalité. Le principal engagement du gouvernement est de soutenir les communes qui veulent signer la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Au final, le ministère de l’Égalité lui-même déclare vouloir tenir « un rôle de coordination pour les politiques nationales de l’égalité ». De ce fait, le Pan n’établit pas d’objectifs concrets dans des domaines précis ou pour des groupes en particulier.

Cette démarche constitue une vraie menace pour des améliorations futures, par exemple la question de l’équilibre entre travail et famille ou la distribution des pouvoirs politiques et économiques. Pour quelques penseurs néolibéraux du XXIe siècle, il est devenu à la mode de dire que les femmes ne devraient plus être considérées com­me des victimes ou comme un groupe particulier de personnes nécessitant assistance. Un des résultats de cette position est que, en tant qu’individu, une femme est aujourd’hui plus difficile à impliquer dans le domaine du leader­ship et de la représentation politique.

C’est en particulier dans les pays où les avancées sociales, économiques et politiques des femmes sont les plus évidentes, que la suppression des politiques d’égalité et des structures administratives correspondantes au sein des gouvernements, résulteront dans un ralentissement, voire un recul de l’avancement des femmes dans la politique.

C’est dans les années 1960 que la combinaison d’une plus grande participation des citoyens, jointe au mouvement des femmes pour l’égalité des droits, a été fondamentale dans le combat pour l’égalité dans la représentation politique. Depuis lors, on note une augmentation stable du nombre de femmes députées passant d’« une femme obligatoire » à un seuil d’au moins trente pourcent. Drude Dahlerup l’a appelé « le minimum acceptable »3. Mais le danger consiste en ce que le pourcentage de femmes dans les parlements (et le Luxembourg n’y est pas encore) d’au moins trente à 35 pourcent se cristallisera en un maximum qui sera finalement bien en-dessous des niveaux paritaires. Par conséquent le nombre de femmes dans les parlements pourraient stagner à cause de ce minimum acceptable.

Une dernière menace à l’accomplissement futur d’une participation équilibrée des hommes et des femmes dans la politique, vient des femmes elles-mêmes. Les femmes semblent moins nombreuses qu’auparavant à vouloir accepter les exigences des postes de direction, en politique ou dans les affaires. En politique, quelques femmes ont déclaré qu’une raison importante de leur décision de renoncer après une législature dans une des fonctions représentatives, est le déséquilibre entre le temps investi et les résultats. La politique demande une très grande disponibilité et les résultats concrets peuvent être rares. Des semaines parfois surchargées reflètent la nécessité pour les politiciens d’être au travail non seulement pendant les horaires ordinaires des jours ouvrables, mais aussi très tôt le matin, tard le soir et pendant les week-ends.

Passer tant de temps au travail laisse nécessairement moins de disponibilité pour les autres aspects de la vie, comme la famille et les enfants. Les femmes, en tant que groupe, se soucient de la politique et des résultats des prises de décisions, mais elles se soucient moins des postes eux-mêmes et cette attitude peut aboutir à une moindre présence des femmes en politique.

Des premières luttes du XXe siècle pour le droit de vote aux demandes d’égalité dans les années 1970 et 1980, la pression constante du mouvement des femmes a contribué aux niveaux actuels relativement hauts de la représentation politique des femmes dans huit États membres de l’Union européenne. Aujourd’hui, cependant, les mouvements des femmes sont en perte de vitesse dans la plupart des pays, tant en termes d’institutionnalisation qu’en termes de nombre de membres. Ceci est le signe du tant annoncé recul du féminisme, qui se note dans beaucoup de pays européens.

De nombreuses jeunes femmes, très diplômées, âgées d’une trentaine d’années, qui n’ont éprouvé aucune discrimination de genre dans leur enseignement, éducation ou l’obtention de bons postes, ne voient pas de problèmes pour les femmes en tant que groupe. Elles perçoivent le féminisme et des stratégies comme l’action affirmative et les « quotas » comme dégradants. Seulement dans les pays où il y a toujours eu moins de quinze pour cent de femmes dans la politique, nous trouvons de grandes coalitions de femmes faisant pression en faveur de la représentation égale. Dans les pays qui ont trente pour cent ou plus de femmes élues, il est plus difficile qu’avant de former de grandes co­alitions d’organisations de femmes ou des sections de femmes dans les partis politiques, ou encore d’impliquer des femmes individuellement pour faire pression sur les leaders politiques pendant les élections, la formation du gouvernement, ou les débats sur des changements constitutionnels.

En somme, le gouvernement luxembourgeois comme les autres États européens a tout intérêt à – et l’obligation de – promouvoir l’égalité dans la société et la politique par des mesures concrètes et des plans d’action conséquents. En effet, le nombre de femmes leaders politiques pourrait continuer à grandir dans la plupart des pays européens. Avec la diminution du taux de participation électorale et le déclin des adhésions dans les partis politiques dans la plupart des pays européens, les partis politiques peuvent se tourner vers les femmes pour redorer leur image. Comme les femmes leaders politiques continuent à être l’exception plutôt que la règle, de nombreuses personnes doutent de la légitimité, du caractère démocratique et de la transparence de la politique européenne.

Puisque le Pan luxembourgeois donne aux partis politiques la respon­sabilité d’améliorer la situation des femmes au pouvoir, les leaders de ces partis politiques pourraient devenir de plus en plus conscients qu’une composition plus représentative de leur fraction parlementaire peut contribuer à une légitimité plus forte et intensifier l’acceptation des décisions politiques par le citoyen. Peut-être seront-ils l’avant-garde d’une tendance plus « gender-équitable ».

Maria Bozinis est chercheuse en sciences politiques à l’Université de Luxembourg spécialisée en questions d’égalité des chances.
Maria Bozinis
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