Médias et référendum

Patate chaude

d'Lëtzebuerger Land du 09.06.2005

Les résultats sont à chaque fois attendus avec un mélange d'impatience et d'anxiété. Depuis octobre 2004, l'institut de sondages ILReS réalise, pour le compte de RTL, un sondage mensuel auprès de 332 électeurs sur leurs intentions de vote au référendum sur le traité constitutionnel le 10 juillet prochain. Des 60 pour cent de ouistes du début, l'adhésion des électeurs est tombée une première fois sous la barre des cinquante pour cent (46 pour cent de oui) en mai 2005, tendance confirmée par les résultats de juin, publiés hier jeudi. Selon ces derniers chiffres, bien que le oui reste stable à 46 pour cent, le non gagne en terrain: 38 pour cent des personnes interrogées affirmaient face à l'Ilres vouloir voter «non» le 10 juillet, soit six pour cent de plus que le mois précécent. Sans les indécis, le oui serait encore à 55 pour cent, selon Charles Margue de l'ILReS, et le non à 45 pour cent. Sur les indécis, deux sur trois pencheraient vers le non, un sur trois vers le oui, expliquait l'analyste à la radio jeudi matin. La réponse officielle du gouvernement aux résultats des sondages : continuer comme avant, avec une campagne d'information «objective» sur le traité constitutionnel. Mais dans les coulisses, c'est la panique. Le Premier ministre Jean-Claude Juncker laissait d'abord entendre, dans une interview radiophonique jeudi dernier, qu'il n'allait peut-être pas démissionner en cas de victoire du non - selon la version officielle pour ne pas lier son sort personnel à celui de ce vote. Puis, le lendemain, lors d'une conférence de presse, il redressait la barre, réaffirmait sa position qu'un non serait aussi un rejet de la politique gouvernementale et que donc sa démission serait une suite logique du non. En fait, tout se passe comme si strictement personne dans ce gouvernement et son administration avait cru possible une victoire du non au Luxembourg, pays fondateur de l'Union, dont on jugeait - visiblement à tort - tous les citoyens européens convaincus et aveugles. Depuis les sondages de mai et les non français et hollandais, la gestion de la communication se fait au jour le jour, avec plus ou moins de bonheur. La campagne officielle, organisée par le ministère des Affaires étrangères, essaie de paraître neutre, incitant surtout les électeurs à s'informer eux-mêmes sur le contenu du traité constitutionnel. Mais en fait, toutes les questions posées dans les annonces et sur les affiches trouvent des réponses extrêmement positives et rassurantes sur la même page. C'est ce que le Comité pour le non à la constitution reproche à la campagne. Vendredi dernier, le comité avait appelé à une manifestation de protestation, place Clairefontaine, devant le ministère des Affaires étrangères: les militants portant des muselières ou des sparadraps sur leur bouche protestaient ainsi contre ce qu'ils considèrent un «discours unique» propagé par la campagne officielle. «Dans la campagne référendaire, voulue démocratique et équilibrée par le Conseil d'État1, il n'y aura qu'une seule voix à entendre, celle du oui!» écrivent-ils dans un communiqué de presse. «Abusivement présentée comme objective, la campagne publicitaire du gouvernement n'est autre qu'un vaste show propagandiste en faveur de l'une des deux options qui sont mises au vote le 10 juillet. (…) Pourquoi donc organiser un référendum si le vote ne doit connaître qu'une seule réponse?» Et de demander des moyens pour pouvoir organiser une campagne de  la même envergure que celle du gouvernement. Or, tout le paradoxe de cette campagne est là: visiblement, le référendum du 10 juillet n'a pas été perçu comme une vraie élection jusqu'à présent - et il n'a pas été géré comme tel. Alors que les autres conditions légales d'un vote s'appliquent, notamment l'obligation d'aller aux urnes. Ainsi, lorsque les rédacteurs en chef des principaux médias audiovisuels, RTL Télé Lëtzebuerg, RTL Radio Lëtzebuerg, Radio 100,7 et DNR, furent invités au Service information et presse (Sip) du gouvernement par son directeur Mil Jung, ils étaient persuadés que c'était pour leur donner des instructions pour la couverture audiovisuelle de la campagne précédant le référendum. Ou pour leur demander de respecter des temps de parole équilibrés et équitables comme c'est le cas pour les élections législatives. Or, il n'en fut rien, la réunion - informelle - de mercredi matin servait surtout à l'information du Sip, qui s'enquerrait de connaître le traitement que lesdits médias allaient réserver à la campagne et au référendum dans les prochaines semaines. «C'est simple, nous appliquons des règles purement journalistiques,» répond le rédacteur en chef de RTL  Radio Lëtzebuerg, Marc Linster, joint par téléphone. Pas de chrono à la main, donc, mais une couverture de tous les sujets d'actualité ayant trait au référendum, des ouistes aussi bien que des nonistes, plus des table-rondes spéciales sur le sujet, le mercredi, à partir de la troisième semaine précédant le vote, une série spéciale durant dix jours avec des éclairages des principaux thèmes du traité, un Club de la presse, une émission spéciale le 4 juillet… RTL Radio a en outre proposé un grand face-à-face, organisé conjointement avec Radio 100,7, entre le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV), ouiste  passionné, et Änder Hoffmann (Déi Lénk), noniste convaincu - sans réponse de Juncker à ce jour (alors que la demande fut introduite il y a trois semaines). Le 10 juillet, les principaux médias ouvriront leurs antennes avec des émissions spéciales dès la publication des premiers résultats, «mais nous ne savons pas encore exactement quelles émissions, cela dépendra aussi un peu du résultat». Deux mois avant le référendum français, le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait émis une recommandation «relative à la campagne en vue du référendum du 29 mai». Il y note : «Le principe retenu par le CSA concernant l'actualité électorale est (…) l'équité entre les partis et groupements politiques.» Le CSA «demande ainsi aux médias audiovisuels de veiller à ce que l'ensemble des partis et groupements politiques bénéficient d'une présentation et d'un accès à l'antenne équitables. Cet accès n'est pas limité aux seules formations habilitées à participer à la campagne.» Le régulateur français prévoit même que «lorsque les opérateurs rendent compte de la pluralité des positions au sein des partis ou groupements politiques, ils veillent également à le faire dans des conditions équitables.» Des relevés hebdomadaires et minutieux des temps d'antenne respectifs accordés à chaque parti et à chaque tendance furent suivi de rappels à l'ordre des chaînes par le CSA. D'ailleurs en France, les médias en général durent se faire traiter de ouistes invétérés - même l'éditorialiste de l'hebdomadaire satirique de gauche Charlie Hebdo, Philippe Val, militait pour le oui. Or, l'exemple français a aussi montré le gouffre qui sépare les décideurs politiques ou médiatiques du «peuple» - terme générique redevenu à la mode en une soirée électorale - et de «la France d'en bas». Selon Charles Margue, les défenseurs du oui au Luxembourg sont les bac +, les femmes au foyer, les étudiants, les retraités et les enseignants, alors que les nonistes sont très jeunes, en dessous de 24 ans, ouvriers ou simples employés. Le non serait surtout un non inquiet, basé sur des peurs qui ont trait à des questions européennes comme l'élargissement ou l'adhésion de la Turquie. Le problème des nonistes est leur éclectisme: de l'ADR au communistes et à déi Lénk, en passant par des protecteurs des animaux, des nationalistes, des dissidents de partis ouistes (comme Jean Huss) et autres individus plus ou moins contrôlables. Les grands partis, CSV, DP, LSAP, Déi Gréng, se montrent unis pour le oui à l'Europe et la raison d'État. Là aussi, le gouffre entre les deux camps se creuse, les ouistes considérant souvent les nonistes avec un certain dédain, comme des passéistes, des nationalistes ou des frileux. Le moins que l'on puisse constater, c'est un réel problème de communication du contenu de cette constitution, malgré les efforts des institutions, comme notamment la Chambre des députés, qui, après les hearings dans sa salle plénière, a maintenant entamé une série de conférences publiques décentralisées. Dix pour cent des personnes interrogées par l'Ilres disent s'informer dans des réunions, sept pour cent lors de conférences publiques sur la constitution, alors que 69 pour cent se fient à la presse écrite, 57 pour cent à la radio et 47 pour cent à la télévision. Au Luxembourg, le contrôle des médias audiovisuels incombe au Conseil national des programmes, qui a réalisé une étude sur la campagne électorale des législatives de 2004 avec l'Université de Trèves (dont on attend toujours le rapport final). Mais cette fois, pour le référendum, le CNP n'a rien entrepris et ne fait aucun contrôle. «Nous n'en avons tout simplement pas les moyens,» regrette Carole Kickert, la responsable du CNP. Toutefois, le conseil a, lors de la dernière réunion plénière, exprimé son vœu de voir discuté le traité constitutionnel «de manière aussi controverse que possible» dans les médias. Saisi par le Comité pour le non, le CNP a contacté le ministre délégué aux affaires étrangères, Nicolas Schmit (LSAP), responsable de l'organisation de la campagne officielle, pour savoir quels moyens étaient mis à disposition du camp adverse - et attend une réponse depuis trois semaines.

1 Dans son avis du 22 mars, sur le Projet de loi «portant organisation d'un référendum national sur le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé à Rome, le 29 octobre 2004», le Conseil d'État avait noté : «Aussi le débat public précédant le référendum devra-t-il être serein, honnête et complet, éclairer tous les volets, pour permettre à l'électeur de connaître toutes les facettes de la question lui soumise et suppose donc l'organisation d'une campagne d'information expliquant le contenu et la portée du Traité.»

 

josée hansen
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