Luxair

SOS Mayday

d'Lëtzebuerger Land du 05.10.2000

Jean-Donat Calmes, président du comité de direction de Luxair, a démissionné de ses fonctions lors de la dernière réunion du conseil d'administration. Selon un communiqué officiel de Luxair S.A., cette démission fait suite à « des divergences de vue avec les actionnaires de la société ». Quant au président du conseil d'administration de Luxair S.A., Roger Sietzen, qui occupait auparavant les fonctions de Calmes, il ne sollicitera plus le renouvellement de son mandat lors de la prochaine assemblée générale de Luxair S.A. en 2001. 

Calmes n'aura donc « duré » que deux ans. Lorsqu'il est entré en fonction en mai 1998, les hostilités entre le président du comité de direction et le président du conseil d'administration étaient déjà ouvertes (voir nos articles précédents sur www.land.lu). Cet affrontement avait fini par lasser des actionnaires. Il est vrai que Sietzen, aussi bien que Calmes, bénéficiait d'assez sérieux appuis politiques pour que l'enjeu dépasse le seul cadre de la politique d'entreprise. De surcroît, il s'agissait de deux visions d'entreprise profondément opposées. Sietzen, à la tête de Luxair pendant 37 ( !), ans avait marqué son passage d'une politique plus que prudente, quitte à s'adonner à des acrobaties de bilan pour dissimuler la véritable richesse de l'entreprise. Calmes, lors de son arrivée, voulait faire table rase du passé, quitte à s'engager dans des aventures comme la ligne directe Luxembourg-Newark qui fut un échec.

Dans un contexte économique difficile - sans véritable alliance stratégique avec une autre compagnie aérienne, alors que l'accord open sky fait des ravages dans le secteur, la fin du tax-free pour les départs intra-UE, la perte du monopole en ce qui concerne le handling (passagers et cargo), le catering, les déficits réalisés par la branche touristique LuxairTours - les deux protagonistes ont été priés de s'en aller pour que la compagnie tente un nouveau décollage.

Le prochain président du CA devrait s'appeler Alain Georges, représentant de la BGL (détenue par Fortis) - il vient d'être nommé vice-président. L'autre vice-président, Raymond Kirsch, ne devrait pas solliciter ce poste, étant donné que la présence massive de l'État dans le capital de Luxair (détenteur de façon directe de 23,1 pour cent du capital et de 13,4 pour cent de façon indirecte par le biais de la BCEE) est considérée par les autres actionnaires comme un frein au développement économique.

Ce sont finalement les actionnaires étrangers, Dexia (anc. Bil), Fortis (maison mère de la BGL) et Lufthansa, qui auront revendiqué un changement radical et obtenu, passant outre les intéressements et sensibilités luxo-luxembourgeois, le remplacement de Calmes par un professionnel belge, Christian Heinzmann, issu du domaine des transports et dernièrement directeur général de la compagnie aérienne belge VLM Airlines NV. En même temps, ils ont imposé un terme au mandat de Sietzen.

Calmes aura fait deux erreurs stratégiques lors de son - court - passage à la tête de Luxair. Il a endossé seul la responsabilité de l'aventure américaine, qui s'est soldée par une perte sèche avoisinant le demi-milliard de francs. Mais, surtout, il a mis à jour les maquillages comptables de son prédécesseur. Si a priori, il s'agit d'une action qui aurait dû connaître l'adhésion des actionnaires quelque peu floués (voir www.land.lu), le fait d'avoir informé le conseil d'un système de pension interne géré au noir - duquel Sietzen a obtenu quelque 80 millions de francs lors de son départ de la direction - aura anticipé sa perte. Son joker dans le mano a mano avec le président du conseil d'administration s'est retourné contre Calmes : il n'est jamais bon de rendre public les indemnités et autres royalties touchées dans le secteur privé. De plus, les actionnaires avaient, savamment ou non, cautionné pendant des décennies l'« ancien régime » dirigé par Sietzen.

Résultat de l'affaire : Sietzen devra définitivement se retirer, Calmes n'aura plus d'emprise directe et ne pourra finaliser son projet d'entreprise, mais a toutefois réussi à sauvegarder son siège au sein du conseil d'administration. Quant au gouvernement luxembourgeois, qui préconisait toujours une solution luxem-bourgeoise - c'est-à-dire un national à la tête de Luxair S.A. -, le fait d'avoir plié sous la pression des actionnaires étrangers équivaut à une défaite partielle.

marc gerges
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