Luxair

Luxair plane

d'Lëtzebuerger Land du 16.09.1999

Une mauvaise gestion, une stratégie toute autre que rationnelle, des décisions prises à la légère, le tout illustré par des échecs coûteux comme la ligne directe Luxembourg-Newark : les reproches à l'encontre de Luxair s.a. et surtout de son directeur général Jean-Donat Calmes fusent actuellement de tous les côtés. Or, l'environnement dans lequel Luxair doit se positionner - ou plutôt repositionner actuellement - a profondément changé. De surcroît, la compagnie aérienne vient de vivre une petite révolution intérieure, due à une nouvelle philosophie d'entreprise voulue par une nouvelle direction.

La culture d'entreprise de Luxair a effectivement radicalement changé le 11 mai 1998 lorsque Jean-Donat Calmes remplaçât Roger Sietzen comme directeur général au sein de la compagnie aérienne luxembourgeoise. Sietzen le conservateur, aux commandes de Luxair depuis les débuts en 1960, dut laisser sa place et ses fonctions à Calmes, le fonceur. Jusqu'à cette date, Luxair s.a. était gérée comme la grande majorité des entreprises luxembourgeoises de tradition : un ou des dirigeants régnant avec un style quelque peu paternaliste, faisant foi d'un goût du risque plus que modéré et qui ont réalisé toute leur carrière au sein de « leur » entreprise. L'arrivée de Calmes allait vite changer ce tableau certes sécurisant, mais pas moins poussiéreux.

Cependant, Sietzen ne s'est pas entièrement retiré des affaires de Luxair: après avoir quitté ses fonctions de directeur général pour atteinte de la limite d'âge, il était nommé président du conseil d'administration de l'aviateur grand-ducal, position dans laquelle il vient d'être confirmé lors de la dernière réunion des actionnaires. Dès lors, la confrontation entre les deux visions du management devenait inévitable, même si elle n'a jusqu'ici jamais été directe.

Calmes s'empressait, sur invitation du conseil d'administration qui l'a nommé, de renouveler les cadres dirigeants de Luxair. Le remplacement de l'équipe dirigeante ne s'est toutefois pas réalisé dans la bonne humeur. Et ne s'est donc pas passé non plus dans la continuité, c'est-à-dire que le savoir acquis par les anciens de Luxair n'a pas été transmis aux « nouveaux ».

Néanmoins, Calmes a très vite pris les devants en personnifiant le changement. Une de ses premières décisions, passée plutôt inaperçue jusque-là, peut se relire dans les notes du bilan 1998 : « Jusqu'au 31 décembre 1997, la provision fiscale relative à l'impôt sur le revenu des collectivités des exercices 1994 à 1997, soit LUF 867 993 556 était estimée sans tenir compte des bonifications d'impôt pour investissement dont peut bénéficier la société. À partir de l'exercice 1998, la provision fiscale  concernant l'impôt sur le revenu des collectivités est estimée en tenant compte des bonifications d'impôts sur investissements reportables ainsi que des bonifications d'impôts relatives aux investissements réalisés au cours de l'exer-cice.»

Calmes a ainsi mis fin à l'habitude de Sietzen d'amoindrir le bénéfice réel en ne tenant pas compte des bonifications d'impôts possibles. Ces bonifications n'étant en règle réalisées que trois à quatre années après l'exercice, au moment de la fiche finale d'impôt, Sietzen permit ainsi à Luxair de profiter d'un petit trésor de guerre en empoignant sur les dividendes des actionnaires.

Ce « redressement global » des bilans de Luxair permit à Calmes de réaliser, lors de sa première année en fonction, le meilleur exercice de l'histoire de Luxair. Certes, l'augmentation plus que spectaculaire de 85 pour cent du bénéfice, pour le porter à 845 millions de francs, ne s'explique pas seulement par la « libération » de ces capitaux en réserve, mais ils y ont largement contribué. De même que cette opération permit au nouveau directeur général de clairement annoncer le début d'une nouvelle ère.

Car dans son projet de stratégie qu'il devait présenter au conseil d'administration « dans le nouveau contexte de la libéralisation du transport aérien international », Calmes était plutôt resté dans la ligne prétracée par Sietzen. Le premier objectif était, et reste d'ailleurs, le développement du Findel comme principal centre de vols régionaux (européens), avec Luxair pour acteur principal. Cependant, l'équipe Calmes part d'une position moins avantageuse pour transposer cette stratégie entamée par leurs prédécesseurs.

Aux temps de l'ère Sietzen, Luxair bénéficiait d'une multitude de monopoles au Findel. L'aérogare luxembourgeoise comme port d'attache et une certaine bienveillance de l'État luxembourgeois (propriétaire de l'aéroport et actionnaire à hauteur de 23,1 pour cent de Luxair s.a. ; 37,5 pour cent si l'on y ajoute les parts détenues par la BCEE) ont fait en sorte qu'avant l'application des nouvelles règles communautaires con-cernant l'accord « open sky », Luxair n'était que partiellement exposée à la concurrence internationale. De même, Luxair détenait le monopole en ce qui concerne les activités du handling, du tax-free, du catering, etc. Ce qui lui permettait de s'appuyer sur d'importantes sources de revenus autres que ceux, décroissants, de la pure aviation.

L'abolition du tax-free au sein de l'Union européenne, une concurrence accrue sur les lignes desservies par Luxair et l'arrivée d'une deuxième société de handling au Findel ont déjà sérieusement changé la donne initiale : les possibilités pour émarger des bénéfices sont de plus en plus restreintes. Or, malgré les signes précurseurs, Luxair se retrouvait quelque peu prise de court dans cette situation concurrentielle accrue.

Dans ce contexte, l'équipe Calmes a décidé de concentrer davantage ses efforts sur le core-business de Luxair, c'est-à-dire l'aviation. Estimant que la demande est stimulée par l'offre, la politique actuelle se définit par la création de nouvelles lignes respectivement la valorisation de celles existantes. Ce projet ne peut pas être rentable à court terme selon Calmes, mais doit se faire dans la continuité et nécessite de sérieux investissements au départ. Ainsi, le nombre de sièges par kilomètre offerts (1,27 millions en 1998) a cru de 35 pour cent depuis le 1er janvier 1999, alors que le nombre de passagers par kilomètre réalisés (0,812 millions en 1998) n'a augmenté que de 17 pour cent pendant cette même période. Le taux d'occupation décroissant - autour de quarante pour cent en 1999 contre 63,9 pour cent en 1998 - serait une fatalité de départ estime Luxair : si une ligne n'est pas desservie de façon attractive dès son lancement, elle ne pourra jamais s'imposer.

Une politique plus agressive qui est compréhensible, mais connaît quelques ratés dans sa réalisation. Faute de succès et de rentabilité, une des nouvelles destinations, Luxembourg-Stuttgart-Bologne va disparaître des plans de vol, les vols vers Montpellier et Marseille ont été combinés, celui à destination de  Dublin va être redéfini. Des échecs qui entament les réserves et l'image de Luxair, mais qui en finalité sont des conséquences logiques d'une politique osée. D'autant plus que Luxair connaît un sérieux problème de remplissage des avions à destination du Findel. Le Luxembourg, avec une hôtellerie déficiente et un centre de congrès inexistant, manque d'attractivité. La prise de décision dans le secteur financier se situe dans les maisons mères à l'étranger, c'est-à-dire que le « tourisme business » est unidirectionnel. Faute de « trafic rentrant », le défi consiste dès lors à faire du Findel une plate-forme de transit pour hommes et femmes d'affaires devant rejoindre leurs destinations européennes. Luxair espère assurer trente à quarante pour cent de ce transit en axant ses horaires sur les besoins et en jouant la carte du Findel par rapport aux grands aéroports surchargés tels que Francfort, Paris ou Londres.

C'est sur l'attractivité de cette plate-forme de transit pour destinations européennes que comptait Luxair lorsqu'elle a lancé ses quatre vols hebdomadaires vers Newark en mars dernier. Une entreprise qui aura coûté au moins 280 millions de francs au transporteur aérien, qui sera stoppée fin octobre et qui a failli coûter la tête au directeur général. 

La reprise des vols à destination de New York après le départ d'Icelandair s'était partiellement faite contre l'avis du conseil d'administration qui finalement mit fin à l'aventure. Calmes, pour expliquer l'échec, estime avoir « évalué de façon trop optimiste le succès de la classe business ». Or, l'échec était prévisible. Luxair loue le siège d'avion (sur 246 places au total) entre 18 000 et 20 000 francs à la compagnie belge City Bird, somme qui ne comprend que l'appareil et l'équipage. Pour rester attractif sur cette ligne transatlantique, une des plus concurrentielles au monde, les billets Economy sont vendus aux alentours de 15 000 francs. La classe business avec ses 24 sièges devait donc combler la différence : la ligne n'a pas été ouverte pour faire des profits, il s'agissait d'une question de prestige. La décision avait aussi été prise pour ne pas laisser « dégénérer le Findel en aéroport de province » dixit Calmes. De fait, le Findel ne peut « dégénérer », vu qu'il est un aéroport de province. Or, Luxair ne pouvant offrir une formule « frequent-flyer », n'assurant la liaison que quatre fois par semaine et ne proposant qu'une seule destination américaine, la classe business est restée désespérément vide.

Si Luxair a les moyens de digérer cet échec, entre autres à cause des profits générés l'année dernière, la compagnie a pris un sacré coup au moral. Et Calmes, mis sur la sellette lors de la dernière réunion du conseil d'administration, en juillet à Florence, n'aura plus de sursis. D'autant plus que le résultat opérationnel, suite à l'aventure américaine et le taux de remplissage très faible, sera largement négatif pour 1999. La décision de baisser les coûts de fonctionnement annuels de quelque 600 millions de francs - des épargnes à réaliser surtout dans le domaine des biens et services - était impérative.

Sinon, le prochain virage a négocier sera lui aussi délicat. À terme, « l'atome libre » qu'est Luxair ne pourra rester isolée face aux concentrations et alliances des autres compagnies aériennes. L'intégration de Star Alliance, dont fait partie Lufthansa qui détient treize pour cent des parts de Luxair, est une possibilité, mais des raisons stratégiques pourraient amener Luxair a rejoindre une autre alliance. Il s'agira dès lors à imposer le site du Findel, avec Luxair comme opérateur principal, comme centre de vols régionaux au sein de cette alliance. Une tâche qui ne s'annonce pas facile, mais dont dépend et l'avenir de la compagnie et de son directeur général.

marc gerges
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