Une projection sur l’espérance de vie dans vingt ans

Combien d’années vivrons-nous en 2040 ?

d'Lëtzebuerger Land vom 22.03.2019

Treize ans d’écart entre l’espérance de vie des cinq pour cent d’hommes les plus pauvres et des cinq pour cent les plus aisés ! Ce constat effarant a été fait en France en 2018, dans une étude publiée par l’Insee. En Allemagne, on a calculé qu’à quarante ans, un mineur n’a qu’une chance sur deux d’atteindre 65 ans et que son espérance de vie est de 14,4 ans inférieure à celle d’une professeur !

Les études démographiques sur la durée de vie mettent souvent en avant des inégalités choquantes face à la mort, le plus souvent dans un cadre national (lire encadré), mais elles ont rarement un caractère prospectif, surtout au niveau international. Pourtant leurs résultats permettent d’éclairer des problématiques aussi cruciales que les dépenses de santé et de retraite.

Une lacune largement comblée par une étude de l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) publiée dans la célèbre revue médicale britannique The Lancet en octobre 2018. Cet article scientifique de 39 pages propose une nouvelle approche en s’efforçant de prévoir comment évoluera l’espérance de vie d’ici à 2040, dans 195 pays et territoires, après avoir analysé 250 causes de décès. Trois scénarios en ont été tirés.

Dans le scénario moyen de référence, qui extrapole les tendances actuelles, l’espérance de vie mondiale augmenterait de 4,4 ans, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, qui atteindraient respectivement 74,3 ans et 79,7 ans.

Mais il s’agit d’une moyenne, car 59 pays dépasseraient une espérance de vie de 80 ans en 2040, avec pour l’Espagne, le Japon, Singapour et la Suisse un chiffre supérieur à 85 ans pour les deux sexes. Par rapport à 2016, les rangs de ces pays changeraient peu. En revanche, plusieurs pays à revenu élevé devraient perdre plusieurs places dans le classement, notamment le Canada (qui passerait du
17e au 27e rang) ; la Norvège (du 12e au 20e) ; Taiwan (du 35e au 42e) ; la Belgique (du 21e au 28e) et les Pays-Bas (du 15e au 21e). La situation la plus préoccupante est celle des États-Unis, qui chuteraient de la 43e à la 64e place, avec un gain d’à peine un an d’ici à 2040 pour cause de crise sanitaire. La plus forte progression dans le classement serait celle de la Chine qui, en gagnant 5,6 ans d’espérance de vie pour atteindre 81,9 ans, passerait d’un très médiocre 68e rang en 2016 au 39e en 2040. D’autres pays peuplés comme le Nigeria (montant de la 157e à la 123e place) et l’Indonésie (de la 117e à la 100e) améliorent aussi nettement leur classement.

Cela est lié au fait qu’environ 200 indicateurs de santé étudiés devraient s’améliorer d’ici 2040, même si 36 d’entre eux devraient s’aggraver. Mais, si les tendances actuelles se maintiennent, les disparités régionales en matière de survie perdureront : ainsi la République centrafricaine, la Somalie et le Zimbabwe resteraient sous la barre des 65 ans en 2040, soit plus de vingt ans d’écart avec le Top 10.

Dans le scénario pessimiste, l’espérance de vie stagnerait par rapport à aujourd’hui (69,5 ans pour les hommes et 75,2 ans pour les femmes), avec même un recul dans près de la moitié des pays étudiés (87 sur 195). En revanche, 57 d’entre eux connaîtraient une augmentation d’au moins un an. Le scénario optimiste prévoit un gain moyen de 7,5 ans avec 158 pays, soit 81 pour cent, qui verraient des gains supérieurs à cinq ans, et 46 pays des hausses de plus de dix ans surtout dans les régions en développement. Les hommes vivraient alors jusqu’à 77,8 ans et les femmes jusqu’à 82,5 ans.

Les différences entre les scénarios sont importantes, y compris entre pays voisins : par exemple dans l’hypothèse optimiste on arrive à 75,3 ans en Afrique du sud, tandis qu’au Lesotho le scénario pessimiste donne le chiffre de 45,3 ans, soit trente ans d’écart ! L’Afrique subsaharienne cumulerait les handicaps : risque de recrudescence du Sida, persistance de maladies infectieuses comme la tuberculose et développement d’affections découlant d’un changement de mode de vie et d’alimentation.

Précisément, les chercheurs considèrent qu’au niveau mondial les différences d’espérance de vie entre les scénarios (et entre pays) s’expliqueront moins par des raisons purement médicales que par des risques directement liés aux modes de vie : en particulier l’hypertension artérielle, le surpoids, l’hyperglycémie, le tabagisme, l’alcoolisme et la pollution.

De ce fait, si l’on veut « infléchir la trajectoire », c’est-à-dire échapper au scénario pessimiste et se rapprocher autant que faire se peut de l’hypothèse favorable, il faut, selon Christopher Murray, directeur de l’IHME, mettre en œuvre des politiques davantage orientées sur l’amélioration des conditions économiques et sociales que sur la santé proprement dite (sauf, dans ce dernier cas, dans les pays à faible revenu, où plus de la moitié des décès prématurés seront toujours liés à des maladies transmissibles « maternelles, néonatales et nutritionnelles »).

L’augmentation du niveau d’éducation et du revenu moyen sont finalement les meilleurs garants d’une progression de la durée moyenne de l’existence, grâce à une meilleure hygiène de vie, sachant qu’un problème majeur aujourd’hui est celui de « l’espérance de vie sans incapacité » (EVSI) dite aussi « en bonne santé ». Elle est de près de vingt ans inférieure à l’espérance de vie globale : dans l’U.E. en 2016 elle n’était que de 64,2 ans pour les femmes et 63,5 ans pour les hommes, et ne progresse que très faiblement.

Inégalités face à la mort

Il est bien connu que les femmes vivent davantage que les hommes. Selon une étude de l’OMS parue en septembre 2018, la différence était de 6,5 ans en 2016 en Europe (81,1 ans contre 74,6 ans d’espérance de vie à la naissance). Mais l’écart diminue peu à peu, car il était de 6,9 ans en 2010 et de plus de huit ans en 1998 (léger recul pour les femmes, hausse continue pour les hommes). Il n’était que de 3,2 aux Pays-Bas, de 3,5 en Suède et au Royaume-Uni mais supérieur à huit ans dans les pays baltes et en Pologne. La différence était de six ans en France et de cinq ans au Luxembourg. Les femmes jouissent encore de plusieurs avantages en termes de santé : moindre consommation d’alcool, meilleur suivi médical (en particulier durant leur « vie féconde ») et durée du travail moins élevée (donc moindre exposition aux risques professionnels).

Avantage également aux diplômés : l’étude allemande de 2015 attribuait aux hommes de 40 ans ayant reçu une éducation élevée, une espérance de vie supérieure de 6,3 ans à ceux n’ayant qu’un niveau « de base » (au maximum le premier cycle du secondaire). Mais le diplôme est lié au revenu, et en définitive, c’est ce dernier critère qui joue le rôle le plus important. En France, l’Insee indique qu’« avec ou sans diplôme, plus on est aisé, plus l’espérance de vie augmente », car la prévention et l’accès aux soins, causes directes d’une bonne santé, sont facilités.

Mais l’effet du niveau de vie n’est pas linéaire : très fort en bas de l’échelle des revenus, il s’amoindrit nettement ensuite. Selon l’Insee « aux alentours de 1 000 euros par mois, 100 euros supplémentaires sont associés à 0,9 an en plus d’espérance de vie chez les hommes et 0,7 an chez les femmes. Pour 2 500 euros par mois, le gain n’est plus que de 0,2 an chez les hommes et 0,1 an chez les femmes ». Les facteurs favorables se combinent : en France les femmes les plus aisées vivent huit ans de plus que les plus pauvres. gc

Principales études citées : Christopher J.L. Murray et 37 autres auteurs : Forecasting life expectancy, years of life lost, and all-cause and cause-specific mortality for 250 causes of death: reference and alternative scenarios for 2016–40 for 195 countries and territories, , The Lancet, octobre 2018. / Marc Luy, Christian Wegner-Siegmundt, Angela Wiedemann, Jeroen Spijker : Life Expectancy by Education, Income and Occupation in Germany, Comparative Population Studies, vol. 40, décembre 2015. / Nathalie Blanpain : L’espérance de vie par niveau de vie, Insee Première n°1687, février 2018/ Rapport sur la santé en Europe, Organisation Mondiale de la Santé, 2018

Georges Canto
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