Frisoni, Claude: Lettre d'amour au peuple qui ne connaissait pas le verbe aimer

Meng Maus, souris-moi !

d'Lëtzebuerger Land vom 29.05.2015

François Mauriac aimait tellement l’Allemagne qu’il préférait qu’il y en avait deux. Eh bien, le Luxembourgeois se trouve un peu dans la même situation face à l’amour : il aime tellement sa dulcinée qu’il a besoin de deux langues pour exprimer sa flamme : « meng Maus, souris-moi ! » Il ne peut se résoudre à dire « ech léiwen dech », sachant trop bien que l’animal totémique du Luxembourg aime tellement ses petits qu’il n’hésite que rarement à les croquer. Et que dire de Claude Frisoni qui a carrément besoin d’écrire tout un conte pour conter fleurette au Luxembourg ? Qu’importe alors que ce livre soit mal écrit, ce qui, avouons-le, est un comble pour cet orfèvre de la langue française qui excelle tellement dans ses pièces de théâtre et autres billets. Mais il est vrai qu’avant le référendum il y avait urgence à avertir, par cette parabole, du danger de dire non au droit de vote des étrangers, pardon, des « résidents non luxembourgeois ». Il n’en reste pas moins que cette fable, plus pertinente qu’impertinente, est souvent drôle et toujours généreuse, mais il est dans la nature des bons sentiments qu’ils empêchent la bonne littérature, et ce livre ne mérite assurément pas le Goncourt et encore moins, n’en déplaise à certains, le Servais.

Que voulez-vous, quand le méchant Houellebecq tend la glace aux Français, le gentil Frisoni tend un miroir de courtoisie aux Luxembourgeois. Et pourtant, à lire certaines réactions haineuses qui envahissent, telle une mauvaise herbe, le courrier des lecteurs au Journal et au Wort, on est bien obligé de constater que ce miroir s’est révélé être une radiographie fort utile de la peur, de la haine et surtout de la bêtise qui animent les chantres d’une extrême droite xénophobe qui n’attend même plus la victoire annoncée du non au référendum pour ramper hors de leurs trous. Espèrent-ils refouler ainsi leur complexe d’infériorité d’appartenir à un petit peuple ? Et n’ont-ils donc pas compris que Frisoni, loin de détester le Luxembourg, l’aime comme une maîtresse avec laquelle il trompe sa légitime, cette République qui reste bonne fille, alors même que l’inconstant se montre plus royaliste que le Grand-Duc en faisant du vieux souverain le sauveur du pays. Quand je vous dis qu’il y avait urgence et que la fable est parfois un peu bâclée ! Autre faute de goût de notre pamphlétaire : il confond l’immobilisme au Vatounu avec l’immobilier au Luxembourg.

Et puis on chuchote encore que l’auteur ne parlerait même pas le luxembourgeois. Et alors ? Notre amant ne sait que trop bien que la langue, avec une maîtresse, sert à bien autre chose que de balbutier des vocables, en général kitschissimes. De grâce, arrêtons enfin de faire de notre langue un outil d’exclusion, alors qu’elle devrait servir à nous réunir autour d’un couscous que le coucou étranger aurait déposé dans nos assiettes. La langue, en fin de compte, est au dialecte ce que la religion est à la secte, à savoir un enfant qui a mieux réussi que son ancêtre. Soyons fiers alors que notre idiome ait gardé sa fraîcheur juvénile et lisons, en écoutant Goin’ Home d’Art Pepper, le roman à clé de Frisoni pour ne pas répondre idiot à cet inénarrable référendum que la vox populi, dans son idiome finalement pas si bête que ça, a tout simplement rebaptisé Referendomm !

Claude Frisoni : Lettre d’amour au peuple qui ne connaissait pas le verbe aimer ; éditions Guy Binsfeld, Luxembourg, 2015 ; 144 pages ; 20 euros.
Paul Rauchs
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