Un homme qui vous veut du bien

d'Lëtzebuerger Land vom 27.05.2022

On l’imaginait un peu baba cool, un peu perché, assis en tailleur, le vêtement ample et les poignets recouverts de bracelets tibétains, un bâton d’encens brûlant à ses côtés et la voix calme et posée de celui que rien n’atteint. À bas les clichés : Benjamin Blasco, le cofondateur de Petit BamBou, l’application star en matière de méditation, a tout du jeune cadre dynamique, bavard et enjoué. Diplômé de l’École Polytechnique et de Télécom Paris, c’est à se demander comment cet ancien employé de Paypal est tombé dans l’univers du développement personnel et du bien-être. « À cette époque-là, je faisais beaucoup de choses en même temps, j’étais champion du monde du multitâches. Mais ça avait un coût d’être si efficace. Je pensais toujours à l’après et j’avais le sentiment de ne jamais être dans le présent, mais toujours dans l’anticipation. J’ai trouvé ça très dommage d’être ainsi spectateur de sa vie et j’en ai parlé à un collègue qui m’a conseillé d’essayer la médiation ». Sceptique au départ, cet ingénieur de formation finit par se laisser convaincre par cette pratique pour laquelle « il ne faut croire à rien, mais juste suivre des instructions ». Sa première séance est surtout l’occasion de faire un constat alarmant : « Je devais compter mes respirations jusqu’à dix. À trois, mes pensées allaient déjà ailleurs, j’avais un incroyable brouhaha dans ma tête et comme une voix de commentateur sportif en arrière-fond. Finalement ça m’a fait du bien de réaliser et d’accepter ça ».

Benjamin Blasco s’intéresse alors de plus près à la méditation ; il lit des livres, des études scientifiques qui en vantent les bienfaits, part en retraites spirituelles. Finalement convaincu, il décide de lancer une application en collaboration avec son ami, Ludovic Dujardin, propriétaire depuis 2012 d’une page Facebook baptisée Petit Bambou, axée sur la philosophie et la sagesse. « Nous avons quitté nos jobs et nous nous sommes répartis les tâches : il s’est occupé de la partie technique et moi du reste, et nous avons réussi à monter une application qui aide chacun à prendre soin de soi ». En 2015, une première version est lancée et le succès est très vite au rendez-vous ; l’intérêt naissant de la population pour la pratique et la presse aidant. Au bout de 18 mois, un chiffre d’affaires commence à émerger et les embauches démarrent. Aujourd’hui, Petit BamBou c’est une vingtaine de personnes qui travaillent derrière l’application : six au Luxembourg, dans les locaux de The Office, à Hamilius, et quatorze autres à Lille, en France. Mais aussi toute une flopée d’enseignants en méditation qui fournissent l’application en programmes divers et variés. « Nous en avons une centaine sur des thèmes comme le burn-out, le sommeil, la gestion du stress, le sport, le lâcher-prise… Tous sont composés d’une introduction, d’une guidance et d’une conclusion, rédigées et enregistrées pendant dix à vingt minutes par nos experts, souvent des psys, que nous avons testés ou qui sont reconnus par leurs pairs. Nous collaborons notamment avec Christophe André, la personnalité la plus réputée dans ce domaine là, mais aussi avec les meilleurs enseignants de chacun des pays que nous couvrons ». Car Petit BamBou est disponible en six langues – français, allemand, anglais, espagnol et depuis peu italien et néerlandais – et compte à l’heure actuelle pas moins de neuf millions d’utilisateurs.

Une reconversion réussie pour celui qui a totalement changé de vie et qui, par la même occasion, est parvenu à lui donner un sens. « Tous les jours, on reçoit des messages de remerciements de gens qui nous disent que la méditation les a aidés à passer un cap difficile, que ce soit côté pro ou côté perso. Ce sont de vrais messages d’amour et c’est motivant et beau de lire ça », confie-t-il. La pandémie a notamment été l’une des périodes les plus prolifiques pour l’application, qui a dû faire face à une vague de nouveaux utilisateurs, preuve de la véritable détresse psychologique de la population et une des raisons pour laquelle la méditation a de plus en plus le vent en poupe. « Lors du premier confinement, nos chiffres ont explosé. On a triplé le nombre d’utilisateurs et on a mis beaucoup de choses en place pour répondre présent et accompagner les personnes qui n’étaient pas encore familières de la méditation », témoigne Benjamin Blasco. Apaisé et heureux en apparence, le cofondateur de Petit BamBou n’en reste pas moins humain et avoue devoir parfois faire encore face au stress et aux contraintes de la vie quotidienne.

« Même si ça m’arrive d’oublier, je médite très régulièrement et je fais des retraites aussi. La méditation fait simplement partie de ma vie, je la conçois comme un stretching du cerveau, qui permet d’être plus souple et plus apte à affronter les hauts et les bas de l’existence. Au-delà de la pratique, c’est devenu un art de vivre. Chaque instant, quand quelque chose ne va pas, je cherche les outils dans ce que j’ai pu apprendre pour me recentrer, être présent et accepter mon humeur ou la situation qui se présente à moi ». Une philosophie qu’il a su transmettre à sa famille – ne dit-on pas que l’enfer, c’est les autres ? «  Mes enfants ont médité un moment, mais sont surtout sensibles à la respiration et à la musique. Je crois qu’il ne faut pas forcer les gens, la motivation doit venir de l’intérieur et la méditation est une proposition qui est là. Parfois ça ne marche pas tout de suite et on y revient plus tard. Il faut le temps de vouloir et d’apprendre à prendre dix minutes pour soi et à ne rien faire, car ce n’est pas anodin de ne rien faire ». À méditer !

Salomé Jeko
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