Prochain bourgmestre de Contern, le libéral Dali Zhu (37 ans) gère plusieurs restaurants au Luxembourg et en Allemagne

Manga Mayor

Dali Zhu devant son nouveau restaurant, mardi matin, à la Cloche d’Or
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 24.10.2025

Il avait prévenu la veille au téléphone : « Vous verrez, c’est un peu le chantier », mais Dali Zhu exagère. Son nouveau restaurant Kaito, ouvert la semaine précédente à la Cloche d’Or, est parfaitement opérationnel. Seul ce carton déplié en guise de paillasson à l’entrée dénote une certaine improvisation. Il arrive le téléphone à la main, laptop et dossiers sous le bras. Il ne les ouvrira pas lors de notre entretien : ils concernent son restaurant, pas sa vie politique, l’objet principal de la rencontre. Car Dali Zhu sera le prochain bourgmestre de Contern, une commune sens dessus dessous depuis un an et demi.

Ses parents, originaires de Hangzhou (plus de 12,5 millions d’habitants, belle ville construite sur les rives d’un immense lac dans l’Est de la Chine), ont émigré à Dudelange en 1987, un an avant sa naissance. Ils ont débarqué dans le Minett pour travailler dans le restaurant du frère de sa mère. « En Chine, leur vie était dure et ils ont décidé de partir. À l’époque, avec la barrière linguistique, la restauration était pratiquement la seule carrière possible pour eux. Il n’y avait pas encore les banques chinoises, par exemple. » Quelques années plus tard, la famille déménage à Moutfort pour ouvrir son propre restaurant, le Lao Tse. La déco et l’intérieur répondent aux canons définis par les références de l’époque, tels que le Confucius (Limpertsberg) ou Le Palais d’Asie (quartier Gare). C’est « classique », et les plats défilent sur les tables de clients très fidèles.

Jeune, Dali Zhu n’entend pas suivre les pas de ses parents. « J’ai étudié l’économétrie et les statistiques, justement parce que je ne voulais pas avoir leur vie. Mais après avoir travaillé cinq ans devant un ordinateur en tant que risk manager à la Spuerkeess, j’ai eu besoin d’autre chose. »

Il quitte la banque pour reprendre le business familial en avril 2020. Drôle d’idée alors que le pays vit le confinement et que son premier enfant est sur le point de naître. « Si je devais revivre ce moment, je ne suis pas sûr que je prendrais la même décision. J’étais ignorant, naïf. Les premiers mois étaient vraiment durs. » Il explique avoir divisé son salaire par quatre et être passé par tous les états. Impatient, il redessine tout, du design aux menus. « J’ai demandé à mon chef ce qu’il savait faire et ce qu’il avait envie de faire, et on a travaillé ensemble pour créer une offre cohérente, mais très personnelle. »

Problème, les habitués ne suivent pas, « 80 pour cent des anciens clients ne sont pas revenus. » Les nouveaux plats plus originaux, l’anglais comme langue principale, l’identité plus internationale que sino-luxembourgeoise ne font pas recette. Ses parents sont inquiets, presque fâchés, et lui, à deux doigts de ressortir son costume de banquier. « Je ne l’ai pas fait parce que, au fond, j’étais convaincu que cela pouvait marcher. Il y avait forcément de la place pour une cuisine chinoise plus inventive, qui ne copiait pas le poulet frit, sauce aigre-douce que faisaient tous les autres. »

Le soin (et le temps) donné dans une communication qui passe massivement par les réseaux sociaux finit par payer. Une nouvelle clientèle arrive, « plus jeune, avec beaucoup d’expats ». Le pari est rapidement gagné : son chiffre d’affaires est multiplié par quatre. Se pose alors une nouvelle question, comment organiser son business ? « Je n’avais pas envie d’être un restaurateur à la manière de mes parents. J’ai préféré devenir entrepreneur. » Sous-entendu, il n’a pas voulu s’enchaîner au Lao Tse. « Il est arrivé à mes parents de passer cinq ans sans vacances, je ne veux pas vivre ça. » Il renouvelle la structure de l’établissement et prend le rôle d’organisateur.

Il investit le temps libéré dans la création d’un concept de restaurant, qui deviendra Kaito. Ce nom est tiré du manga Capitaine Conan, où Kaito Kid est un cambrioleur magicien particulièrement rusé. « Je trouvais que le nom sonnait bien ! Il est cool et pas trop complexe. » Le premier ouvre sur la place de Paris en août 2024, le second la semaine dernière à la Cloche d’Or et le prochain au Kirchberg en novembre, dans la galerie d’Auchan à la place d’Exki. « Et j’en ai aussi franchisé deux en Allemagne, à Francfort et Cologne », précise-t-il. D’autres devraient ouvrir sous peu.

« J’ai toujours voulu participer à un trend. J’ai loupé celui des sushis parce que j’étais trop jeune, alors j’ai pris celui des ramens ! » Ces nouilles cuites dans un bouillon riche et parfumé, agrémentées de viande, de légumes, d’œufs ou de tofu ne demandent pas un grand talent de cuisinier pour être confectionnées, mais quand elles sont bien faites, elles sont goûteuses, roboratives et elles se mangent rapidement. Idéal pour la pause de midi. « En moyenne, mes clients passent 47 minutes à table ». Surtout, les ramens permettent une certaine taylorisation du travail qui facilite la reproductibilité du format, y compris sous forme de franchises.

« Il fallait aussi un concept qui me ressemble, je n’allais pas faire des pizzas ! J’aime les ramens, les mangas et la culture japonaise en général (si l’origine des ramens est chinoise, leur renommée internationale est due à leur succès au japon, ndlr). » Cela se voit dans la déco des Kaito, où le plafond est constellé de néons japonisants et les murs portent des extraits du manga qu’il a lui-même conçu avec des artistes messins. « Des t-shirts et des hoodies arriveront aussi l’année prochaine », sourit-il. Chez Dali Zhu, les bols de ramens côtoient le marchandising de très près.

Le parcours de ce jeune entrepreneur au succès fulgurant, au contact facile, jovial et volontiers rieur est du pain béni pour le parti libéral. Non content de faire perdurer le commerce familial, Dali Zhu le développe au-delà des frontières en personnifiant, de surcroît, ce multiculti luxembourgeois que vantent des politiques qui ne l’incarnent pratiquement jamais. Le fait de devenir bientôt le premier bourgmestre d’origine asiatique du pays lui assurera indéniablement une nouvelle visibilité. De là à s’imaginer une carrure nationale ? « Il faut déjà que je fasse mes preuves au niveau local », lance-t-il dans un éclat de rire. En tout cas, ce n’est pas un « non ». On a vu des ministres au parcours plus fade.

Zhu assure sans surprise qu’il se retrouve en parfaite harmonie avec les valeurs du parti. « Dans la famille, nous sommes libéraux, ce qui est logique en tant qu’entrepreneurs. Nous ne sommes pas du tout conservateurs. » Il explique devoir son éducation politique à Alphonse Hoffmann, expert-comptable et figure du DP local, décédé en 2021. C’est lui qui lui a proposé de rejoindre le parti et « il a été le seul à le faire ». Mais de là à imaginer briguer le fauteuil de bourgmestre, il y avait un monde.

À Contern, à l’issue du scrutin de 2023, le CSV domine avec plus de 44 pour cent des voix, vingt points devant le DP. La même coalition que la mandature précédente (CSV et socialistes) est reconduite. Avec sept conseillers sur onze, l’alliage avait tout pour durer, mais il a explosé en plein vol après un an et demi de coups tordus et de coups de gueule. « Ces 18 derniers mois ont été épuisants… Il n’y a jamais eu de calme, le climat a toujours été conflictuel », soupire Pol Thomé (36 ans), assistant social au ministère de la Justice et futur échevin LSAP. Il prendra la place de la socialiste Stéphanie Ansay, qui a démissionné du précédent conseil échevinal le 15 juillet, éreintée moralement par les querelles incessantes au sein de la coalition avec la bourgmestre CSV Marion Zovilé-Braquet, qui finira elle-aussi par jeter l’éponge le 8 octobre.

Le climax des tensions est survenu avec cette affaire où deux fonctionnaires communaux, l’un contremaître dans les ateliers et l’autre dans l’administration, ont porté plainte pour harcèlement moral contre la bourgmestre. Relaxée en première instance puis condamnée en appel dans un des cas (le verdict du second devrait bientôt être prononcé), elle voulait se pourvoir en cassation, ce qui a ulcéré le conseil communal qui souhaitait plutôt passer à autre chose et économiser de coûteux frais de procédure. Les factures pour les frais d’avocats, d’enquête et d’analyse fonctionnelle s’élèvent déjà à 423 000 euros.

Lassés par ces tensions, les socialistes ont fini par quitter une coalition qui leur a fait avaler beaucoup de couleuvres. Celle du baptême assez surréaliste de la place Luc Frieden (qui habite la commune) en juin 2024, en présence du Premier ministre CSV, n’était pas la moins grosse. « Nous n’étions pas à cent pour cent d’accord et le parti non plus… mais nous nous attendions à du donnant-donnant. Nous lâchions du lest sur ce point en espérant avoir gain de cause sur un autre. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Nous avons plus donné que nous avons reçu », regrette Thomé. La députée LSAP Claire Delcourt, également conternoise, propose ironiquement « Et pourquoi pas une rue Elisabeth Margue (actuelle ministre de la Justice CSV) ? Après tout, elle habite aussi la commune ! »

Coupable d’avoir trop usés ses partenaires de coalition, les chrétiens-sociaux vont donc perdre Contern. Actant le retrait du LSAP, Marion Zovilé-Braquet a tenté de convaincre les libéraux à deux reprises. Une option inenvisageable pour Dali Zhu : « Humainement, ça aurait été difficile. Et puis, elle attendait un junior partner qui la soutiendrait dans tous ces projets, mais nous avons un programme très différent. » Et aussi une opportunité inespérée de prendre la mairie.

Assez naturellement, libéraux, socialistes et écologistes se sont donc rapprochés. Les premières rencontres ont eu une vertu au moins aussi thérapeutique que politique. « Au début, c’était comme une sorte de speed dating. Il n’était même pas question de programme, juste de parler ensemble pour voir si nos caractères étaient compatibles. Nous avons vite vu que c’était le cas », souligne Pol Thomé qui définit en creux ce qui avait manqué jusque-là.

La coalition « tous contre le CSV » est sur le point de finaliser son accord. Les trois partis assurent que tout est pratiquement réglé et que la signature aura lieu avant la fin du mois. Pour Contern, ce devrait être un changement XXL. De génération, déjà. Marion Zovilé-Braquet est âgée de 64 ans quand Dali Zhu et Pol Thomé sont trentenaires (37 et 36 ans). L’écologiste Ari Arrensdorff (65 ans) sera le seul à avoir l’expérience du poste, ayant déjà été échevin de 2011 à 2017.

Les libéraux étant les plus nombreux de la future coalition (trois sièges, contre deux pour le LSAP et un pour les Verts), le choix de Dali Zhu en tant que bourgmestre n’a pas fait l’objet de débat. Pol Thomé : « Je pense qu’il a le bon profil. Dali est quelqu’un de calme, à l’écoute et il sait gérer un grand nombre de salariés (une soixantaine le mois prochain, avec l’ouverture du Kaito à la Cloche d’Or). Ce qui est essentiel, c’est qu’il est facile de communiquer avec lui. »

Il faudra toutefois attendre un peu avant l’intronisation de la nouvelle équipe. Si Marion Zovilé-Braquet et Stéphanie Ansay ont déjà démissionné, il reste un échevin CSV en poste, Yves Loose (CSV). Tant qu’il siègera, rien ne bourgera. Il faudra attendre le vote du budget qui sera présenté par les chrétiens-sociaux, puis rejeté par tous les autres, vraisemblablement dans la deuxième quinzaine du mois de novembre.

Ces 18 mois pendant lesquels l’administration communale a tourné au ralenti, avec des rebondissements à foison, de grandes engueulades en public, des égos blessés et un renversement de table final sont très clochemerlesques. Et scénarisables ? Après tout, Dali Zhu a aussi de l’expérience dans ce domaine depuis la publication de son manga futuriste. « Ça m’a coûté une fortune, je n’ai pas été raisonnable ! » Publié en français et en anglais, L’histoire, où abondent les références au genre, se déroule en 3224. Le héros, un humain augmenté nommé Taiko (qui ressemble à deux gouttes d’eau à Naruto), très gros mangeur (comme San-Goku, dans Dragon Ball), se démène dans un monde englouti par les eaux à cause du changement climatique. La plèbe meurt de faim tandis que les nantis, eux, se goinfrent (notamment de ramens) dans ce qu’il reste de surface. Cette société à deux étages ressemble à un Gunnm inversé, manga post-apocalyptique et futuriste où les dominants habitent une ville cossue suspendue dans le ciel, alors que les miséreux vivent à la surface de la Terre, devenue une décharge. Ouf, Contern n’en est pas là.

Erwan Nonet
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