Chronique Internet

Microsoft croque Github

d'Lëtzebuerger Land du 08.06.2018

Pour 7,5 milliards de dollars, Microsoft s’est payé Github, la plus grande plateforme de stockage de logiciels « open source ». Venant d’une entreprise qui s’est hissée parmi les plus grandes du monde en vendant des systèmes d’exploitation et des suites de bureautique éminemment propriétaires (même si elle a déjà viré sa cuti ces dernières années et s’est transformée en héraut des logiciels libres), cette acquisition est révélatrice de l’importance prise ces dernières années par l’« open source ». Peu connue du grand public, Github, créé il y a dix ans seulement, est de loin la plus grande collection de « repositories » (espaces de stockage, de partage et de développement concerté) avec 28 millions d’utilisateurs enregistrés. Le modèle d’affaires de Github repose sur la gratuité pour les espaces de stockage publics, mais un modèle payant pour ceux qui souhaitent que leur production reste à l’abri des regards. La première version de Git, le logiciel qui permet de gérer les différentes versions d’un logiciel, a été codée par le fondateur de Linux en 2005 ; Github, la plateforme construite autour de ce programme (et qui en simplifie grandement l’utilisation), existe depuis 2008.

Certains développeurs, pour qui Microsoft est un épouvantail, ont réagi en déménageant leurs logiciels vers des plateformes rivales comme Gitlab. Un « Github Evacuation Center » a vu le jour sur la plateforme elle-même. D’autres ont réagi de manière amusée à coup de memes diffusés sur Twitter ou Reddit, suggérant que Microsoft allait accabler Github de notifications interminables de mises à jour en cours, larder le site de publicités ou espionner le contenu des espaces de stockage privés à son propre avantage.

Microsoft risque de se retrouver face à des arbitrages difficiles auxquels les administrateurs précédents de Github échappaient, par exemple à l’égard des logiciels qui émulent sur ordinateur la Xbox, propriété de Microsoft. Chaque fois qu’un joueur télécharge ce logiciel depuis Github et s’évite ainsi d’acheter une console ou un jeu, ce sont des revenus en moins pour Microsoft. Le magazine Wired fait aussi remarquer que Github abrite le code qui permet de générer les controversés deepfakes, ces clips porno sur lesquels les têtes des intervenants sont interchangés à l’aide d’intelligence artificielle.

Si dans le premier cas, Microsoft devra statuer surtout entre ses intérêts commerciaux et la réputation de Github comme temple du logiciel ouvert, y compris lorsque celui-ci défie les marques propriétaires, dans le second, il pourra être confronté à des choix éthiques difficiles voire à des casse-tête judiciaires si des clips créés à l’aide du code hébergé sur Github deviennent l’enjeu de batailles de relations publiques à grande visibilité. Wired mentionne aussi des conflits susceptibles de naître avec la Chine : Github héberge, avec GreatFire, des outils qui permettent de circonvenir la censure mise en place sur le Net par les autorités chinoises. Si la plateforme a refusé de les retirer lorsque Pékin le lui a demandé, on est en droit de se demander si sa nouvelle direction fera de même.

Fidèle à ses origines, Github, bien qu’étant une plateforme centralisée, a jusqu’ici toujours fonctionné de manière ouverte et au service des développeurs qui lui faisaient confiance, en leur offrant des méthodes de partage décentralisées : une garantie, pour chaque contributeur, qu’il continuera de pouvoir accéder à l’ouvrage auquel il a participé, ainsi que recourir à des versions anciennes du code si le besoin s’en fait sentir. Sa reprise par Microsoft va-t-elle correspondre à une prise de contrôle qui va accentuer sa centralisation et lui ôter son âme ? Satya Nadella, le CEO de Microsoft, a assuré que non : « Nous nous engageons à être les gardiens de la communauté Git-
hub, qui va conserver sa culture du primat du développeur, fonctionner de manière indépendante et rester une plateforme ouverte », a-t-il blogué.

Jean Lasar
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