Chroniques de l’urgence

Au bûcher des marques

d'Lëtzebuerger Land du 17.01.2020

Lorsque douze jeunes activistes déguisés en joueurs de tennis envahissaient, sans violence, une agence du Credit Suisse à Lausanne en novembre 2018 pour y taper la balle et dénoncer les investissements de la banque dans les énergies fossiles, ils s’appuyaient sur l’image de Roger Federer, son éminent ambassadeur mondial. Armés du hashtag #RogerWakeUpNow, ils ciblaient à la fois le champion adulé du classement ATP, dont le patrimoine frise le milliard de dollars, et l’incurie des dirigeants de la banque qui, sourds à la menace climatique, financent à tour de bras l’extraction de charbon, de pétrole et de gaz.

Mécontente de la mauvaise publicité, la banque attaquait alors les militants en justice, certaine que des juges remettraient les pendules à l’heure du sponsoring sportif de haut vol. Mal lui en a pris. Cette semaine, un juge vaudois a estimé que l’urgence climatique justifie parfaitement l’action des membres de Lausanne Action Climate. Le président du tribunal, Philippe Colelough, a retenu l’état de « nécessité licite » et les a acquittés, faisant valoir que « l’action telle que conçue par les prévenus a constitué le seul moyen efficace pour faire réagir la banque ». Il s’est explicitement appuyé sur le considérable retentissement médiatique de l’affaire pour expliquer sa décision.

Pour les entreprises qui gèrent leur marque comme un trésor, cet acquittement est un signal fort qui marque sans doute un tournant. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment imaginer que l’apocalypse climatique qui se déroule sous nos yeux pourrait laisser intactes les pratiques glamoureuses de « branding » héritées de décennies d’irresponsabilité environnementale ?

Ces jours-ci, Joe Kaeser, le CEO de Siemens, en fait à son tour l’amère expérience. Invité par Fridays for Future à renoncer à un contrat de
25 millions de dollars, Kaeser a répondu non. Le contrat porte sur la signalisation de la voie ferrée à construire entre la mine de charbon prévue dans le nord de l’Australie, Adani Carmichael, et le port d’où le combustible est censé être exporté vers l’Inde. Les militants, emmenés par Luisa Neubauer, plaidaient la responsabilité climatique et la promesse de Siemens de se mettre en conformité avec l’Accord de Paris. Kaeser a lui mis en avant les obligations contractuelles et a accompagné son refus d’un discours fumeux évoquant l’« empathie » et la mission du groupe de donner accès à l’électricité au plus grand nombre.

Bérézina (« GAU », a ironisé le Spiegel) : à peine son communiqué était-il en ligne que les réseaux sociaux bouillonnaient de colère, montrant des Australiens ayant perdu leur maison dans les incendies et fustigeant Siemens, tout en pointant, pour appeler à leur boycott, les catalogues d’articles électroménagers de la marque. Quand ils ne rappelaient pas le sombre rôle de la firme sous le nazisme, qu’elle justifiait aussi à l’époque au nom du respect dû aux contrats signés

Jean Lasar
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