Chroniques de la Cour

Microcosmos

d'Lëtzebuerger Land vom 02.10.2020

La Slovaquie a-t-elle finalement trouvé la perle rare ? Quatre fois de suite, ses candidats pour le poste de juge européen à Luxembourg ont été rejetés. Un cas unique dans l’histoire de la magistrature européenne, ce qui avait même fait dire au ministre des Affaires étrangères slovaque de l’époque, non sans raison, « je ne peux pas croire que pas un seul de nos candidats ne vaille ceux qui sont devenus juges à la Cour ! ». Cette fois-ci, ce sera au tour d’une professeure à la faculté de droit international et européen Pavol-Jozef-Safarik de Kovice de tenter sa chance. Martina Janosikova a été proposée au conseil judiciaire slovaque par le ministre de la Justice. Elle brigue ainsi un des deux postes de juge au Tribunal européen. Elle a été référendaire de l’avocat général Jan Mazak à la Cour entre 2006 et 2012, soit pendant toute la durée du mandat de son patron. Avoir été référendaire d’un juge ou d’un avocat général est un atout. Les assistants des juges ont eu le temps d’apprendre ou de faire des progrès en français, la langue de travail (même si le cabinet Mazak travaillait surtout en anglais). Ils connaissent les ficelles du métier et les rouages de l’institution. Cela ne fait pas pour autant d’eux de bons juges, persifflent certains, mais ils ont eu le temps de se constituer un réseau.

Jan Mazak a été président de la Cour constitutionnelle slovaque puis conseiller du président Andrej Kiska, ce qui lui a valu l’hostilité du Premier ministre de l’époque Robert Fico et, partant, celle du conseil judiciaire qui a systématiquement refusé sa candidature pour retourner à Luxembourg, les quatre fois qu’il s’est présenté. Le conseil judiciaire lui avait même préféré un fonctionnaire du greffe de la cour de Strasbourg ! Les temps ont changé. Retour en grâce de Mazak qui préside maintenant le conseil judiciaire. Le nouveau gouvernement l’a chargé de faire le ménage. Avec Martina Janosikova, le conseil judiciaire a proposé aussi un autre candidat, Miroslav Gavalec, juge à la section administrative de la Cour suprême de Slovaquie. Son profil n’est pas sans rappeler celui du troisième candidat évincé, Ivan Rumana, juge à la Cour constitutionnelle. Celui-ci s’était vanté qu’il ferait un très bon juge européen, idée que partageait d’ailleurs le président de la Cour de justice Koen Lenaerts. Le comité européen dit 255, chargé de vérifier les compétences des candidats avant qu’ils ne soient nommés par l’ensemble des États membres, n’en a pas voulu.

Le second poste qui se libère est non pas au Tribunal, mais à la Cour. Daniel Svaby s’en va en octobre 2021. Son mandat ne sera pas renouvelé, sans que l’on sache s’il voulait rester ou non. En 2009, Daniel Svaby était passé du Tribunal à la Cour, jugée plus prestigieuse. Il damait ainsi le pion à Jan Mazak lui aussi en fin de mandat et que le poste intéressait. De vieilles connaissances. Les deux candidats, Martina Janosikova et Miroslav Gavalec viennent d’être proposés officiellement par le gouvernement. Ils seront convoqués devant le comité 255. On imagine mal un cinquième et un sixième refus de la part de ce comité que certains avaient accusé d’avoir rejeté les quatre premiers candidats afin de de laisser la place libre à… Mazak, lequel affiche maintenant de nouvelles ambitions. Comme chaque pays de l’UE, la Slovaquie a trois juges, deux au Tribunal, un à la Cour. Son troisième homme est Juraj Schwarcz arrivé au Tribunal en 2009, en remplacement de Daniel Svaby qui « montait » à la Cour. Resté apparemment insensible aux jeux de pouvoir auxquels se livrent ses compatriotes, il jouit d’une très bonne réputation. À Luxembourg il est qualifié par ceux qui le connaissent de « très bon juge, discret, aimable, avec beaucoup d’humour ». Son apprentissage du français, à marche forcée, a étonné. « Trois ans après son arrivée, il donnait des cours de grammaire à ses référendaires », dit un témoin qui se rappelle que c’est lui qui avait épargné la honte au Tribunal lorsqu’une affaire enregistrée en 2004 - un procès intenté par des sociétés chimiques britanniques et américaines – avait été rapidement reprise par le juge Schwarcz en 2009 alors que son prédécesseur s’en était désintéressé.

De l’autre côté de la frontière, un poste vacant suscite des convoitises. Le juge tchèque Jiri Malenovsky prend sa retraite. Jan Passer, juge au Tribunal, va le remplacer. Le juge Malenovsky a expliqué à la presse qu’il allait avoir 70 ans, âge auquel les juges tchèques sont contraints de cesser leur activité. Il veut se conformer à la règle générale même s’il n’y a pas de limite d’âge à la Cour de l’UE. Sept candidats se présentent pour le poste laissé vacant par le juge Passer. L’un d’eux est Robert Pelikan, ministre de la justice de 2015 à 2018, un poste politique qui, en soit, ne le disqualifie pas, puisqu’un ancien ministre de la justice, le juge François Biltgen siège à la Cour. C’est aussi le fils de la juge Pelikanova, juge au tribunal de 2004 à 2019. On vous le dit, c’est un petit milieu. ●

Dominique Seytre
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