Le Grand Théâtre du Luxembourg présente une vision dansée et stylisée du drame Idomeneo

Un Mozart cousu de fil rouge

d'Lëtzebuerger Land du 24.10.2025

Le Grand Théâtre de Luxembourg, en coproduction avec l’opéra national des Pays-Bas et le grand Théâtre de Genève, a présenté la semaine dernière Idomeneo, re di Creta de Mozart. Opera seria d’un adolescent de seize ans s’émancipant de la toute-puissance paternelle, cet œuvre traite de l’avènement d’une jeune génération en même temps que du déclin de celle de ses pères. C’est donc aussi une promesse et l’initiative du dépassement des genres seria et bouffa, grâce à des personnages individualisés et d’un lyrisme orchestral ne demandant qu’à dépasser le cadre du drame. Le Mozart de la trilogie avec Da Ponte, s’il ne perce pas encore la coquille de son époque, commence tout de même à l’ébrécher.

L’histoire raconte le destin d’Idoménée, roi de Crète, vainqueur de Troie, qui échappe à un naufrage grâce à l’intervention de Neptune. En échange, le dieu exige qu’il sacrifie la première personne croisée à son retour, qui se révèle être son propre fils, Idamante. Ce dernier aime la princesse troyenne Ilia, captive en Crète, tandis qu’Électre, fille d’Agamemnon, brûle du même amour pour lui. Le livret de Giambattista Varesco s’inspire de la tragédie antique, en explorant les thèmes du devoir, du sacrifice et du conflit entre l’honneur et les sentiments. Dans sa note d’intention, le chorégraphe et metteur en scène Sidi Larbi Cherkaoui estime qu’Idomeneo est un mythe aux résonances très actuelles : celui d’un père incapable de laisser la place à son fils, prêt à le sacrifier pour préserver son pouvoir. Il y voit le reflet de la génération des « boomers », qui, après avoir façonné le monde à son image, laisse aux suivantes un héritage pour le moins ambigu.

Dans la scénographie réalisée par l’artiste plasticienne japonaise Chiharu Shiota, ce qui frappe d’abord, c’est le contraste optique brutal entre trois couleurs : le noir, symbolisant le cosmos ; le rouge, pour le sang et le blanc, couleur du deuil dans la culture japonaise. L’omniprésence de fils dans le décor rappelle évidement la signature de l’artiste. Une légende nippone veut que tout homme soit attaché par un fil à la personne de sa destinée. S’il arrive fréquemment que la scène soit belle, ressemblant à des tableaux, l’utilisation excessive des fils, notamment comme accessoire, finit par lasser. Dans les scènes où ils se font plus discrets, en revanche, leur présence presque naturelle leur confie un poids symbolique plus fort. Les costumes sont aussi signés par un Japonais, le styliste Yuima Nakazato. Il s’inspire autant de la tradition japonaise que d’une Antiquité grecque un peu toc. Le résultat se trouve entre l’heroic fantasy, les Power Rangers, et les podiums de la fashion week, avec des manteaux en simili plumes pour Idomeneo et Idamante et des maquillages très appuyés.

L’amateur d’opéra pur et dur regrettera les nombreuses scènes de danse, sans moments de chant. Comme la venue des personnages de Neptune ou Minerve, qui, bien que situant le drame humain dans un cadre cosmique, n’ajoutent rien. La musique de Mozart, a certes grandi sur le terreau de la musique baroque, mais elle va vers une épuration et un naturel fluide. À l’inverse, les propositions du chorégraphe aux mouvements très hachés sont nombreuses, esthétiquement fortes, mais prennent souvent le pas sur la musique et sur le récit mythologique. Le contraste entre ce qu’on voit et ce qu’on entend est très important et met le spectateur dans l’inconfort du manque de cohérence et de lisibilité.

La partie musicale est d’une bonne facture. Les voix des cantatrices, comme la soprano russo-libanaise Anna El-Khashem en Illa d’autant plus touchante qu’elle réussit à mêler dans son timbre le conflit entre son amour et sa répulsion envers Idamante, quitte à frôler la rupture de la balance avec l’orchestre. La soprano américaine Jacquelyn Wagner donne une dureté, pour ne pas dire une sécheresse, à son timbre, pour dépeindre cette princesse vindicative, tout en lui conférant des inflexions presque tendres lors des évocations de son amour pour Idamante, ou encore la mezzo brésilienne Josy Santos, qui, avec donnant des inflexions tendres, incarne tout de même un Idamante ferme et virile. Le tenor suisse Bernard Richter impressionne surtout ici par ses passages des récitatifs aux arias, remarquablement fluides, et par ses arias d’une virilité touchantes par manque d’emphase.

Si l’orchestre dirigé par Fabio Biondi, peut presque ennuyer au début de l’opéra, il gagne en feu, en drame, en dionysiaque même, le long de la représentation. C’est peut-être surtout lui qui saisit le spectateur. Ainsi, tout en renforçant la tragédie, il tient la balance entre l’appolinien et le dionysiaque au deuxième acte, et finit par pointer le développement musical de Mozart, qui, surtout avec les opéras avec Da Ponte, fondera le lyrique et le narratif en un.

Finalement, une mise en scène très baroque, qui aurait gagné à se concentrer sur le drame, et qui donne aux scènes les plus dépouillées, le véritable éclat de cet opéra, et surtout une musique d’une légèreté grave incomparable, que seul Mozart pouvait composer.

Andreas Rey
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