Le bon docteur Schockmel, dont tout ou presque a été dit, continue à jouir des lumières de sa toute relative célébrité. Après avoir refusé ses offres de service comme ministre de la Santé, le DP essuie aujourd’hui les plâtres de son pouvoir de nuisance. Tout hygiéniste qu’il est, le virologue ne s’est manifestement pas encore familiarisé avec la conduite à tenir en matière d’hygiène politique. Il n’a pas compris que son parti est autant de droite en matière économique qu’il est de gauche sur les questions sociétales. Dans ces conditions, cracher dans une tribune du Wort sa haine du féminisme et de ses acquis équivaut à un véritable suicide politique. Et voilà qu’une autre tribune, publiée samedi dernier dans le même journal1, compare l’actuelle levée de boucliers avec celle qui a été dirigée en son temps contre les « antivax ». En épinglant le port du pin « Je suis féministe », l’auteur taxe les protestations des féministes comme dictées par l’affect plus que par la raison. Il veut y voir une fuite régressive dans un sentiment d’appartenance à un « nous », à un groupe qui cherche son identité en excluant l’autre selon des mécanismes que Freud a décrit dans Massenpsychologie und Ich-Analyse. Emporté par la fougue de sa démonstration, l’auteur oublie un peu vite que les antivax, qu’il considère comme les victimes du pouvoir établi, se sont réfugiés eux aussi dans un « Wir-Gefühl », genre « Mir d’Vollek », autrement plus dangereux. Certains n’ont pas hésité à arborer l’étoile jaune, s’assimilant aux Juifs assassinés par les nazis. Piqué au vif, Schockmel se voit lui aussi comme la cible d’une campagne et pousse le « sanglot de l’homme blanc »2 qui déclame haut et fort ses idées paternalistes et son rejet des quotas en faveur des femmes. Des « Quotefraën », la ministre Sam Tanson, la magistrate Martine Solovieff, l’entrepreneure Betty Fontaine ? À compétence égale, ne faudrait-il pas bientôt instaurer des quotas pour protéger les hommes ? Au dernier siècle, les « nègres » Léopold Senghor, Aimé Césaire, Frantz Fanon et bien d’autres retournaient le stigmate pour revendiquer avec fierté leur négritude. En se proclamant haut et fort des « résultats » obtenus par les anciens bourreaux, les vieux hommes blancs finiront-ils par se réclamer de la bourreautitude ?
Mais le nécessaire débat sur la constitutionnalisation de l’IVG mérite d’autres tons et d’autres arguments. À commencer par le pouvoir des femmes de disposer de leur corps. Or, en matière d’avortement, il y a deux corps. Mais le corps de l’embryon ou du fœtus, est-il un corps humain ? Le législateur répond par la négative, car si une femme perd, par la faute d’un tiers, son nasciturus lors d’un accident, cela n’est pas considéré comme un homicide, volontaire ou non. Et si le rire est le propre de l’homme (et de la femme), cela signifie-t-il que l’avortement serait possible jusqu’au premier sourire du bébé ? Ce qui serait encore loin des neuf mois de vie extra-utérine avant lesquels on ne devrait pas parler d’infanticide, selon le bioéthicien australien Peter Singer. Mais ne singeons pas cette discussion et admettons que l’ovule et le spermatozoïde sont les instruments de la survie de l’espèce, quand leur rencontre est la promesse d’un d’être humain unique. À partir de quel moment cette promesse devient-elle une réalité, biologique, philosophique, éthique, légale ? Les hommes de loi et de foi en discutent, les femmes de sciences naturelles et humaines en disputent, et des politiciens de droite et d’extrême-droite qui ont de plus en plus le vent en poupe tranchent la question en cherchant à interdire l’IVG. Un ancien président du Collège médical me fait remarquer qu’il y a fort à parier que, d’ici quelques décennies, les enfants seront conçus et portés in vitro, dans des éprouvettes et des couveuses, ce qui rendrait caduque toute discussion autour de l’avortement. J’ajouterai qu’on ne parlera plus alors d’IVG, mais de sélection. Ce qu’en d’autres temps on appelait l’eugénisme, tant positif que négatif. Les nazis qui n’avaient heureusement pas encore accès à l’intelligence artificielle, la pratiquaient avec leur bêtise naturelle.
Alors oui, il est passionnant aujourd’hui de se livrer à des analyses sémantiques sur les concepts de liberté ou de droit concernant l’avortement, et il est tout aussi intéressant de s’interroger avec philosophie sur l’opportunité d’inscrire l’IVG dans une loi ou de la sacraliser dans la Constitution. Mais la trumpisation du monde impose d’ancrer l’IVG dans la Constitution, non pas pour des raisons éthiques et légales, mais simplement utilitaires. Car la Constitution n’est pas une bible, mais un contrat.