Une pincée de snobisme

grains de sel
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 31.03.2023

C ’est un compagnon discret, sur la table à manger ou près des plaques de cuisson, tellement banal qu’on ne le voit même plus. C’est lui qui relève un ingrédient en un claquement de doigts lors de la cuisson ou à table lorsqu’on veut rectifier un plat à son goût. Le chlorure de sodium est indispensable à la vie et doit être présent dans l’alimentation, car on en perd insensiblement tous les jours. Qu’il soit marin – obtenu par évaporation de l’eau de mer – ou gemme – issus de mines souterraines – le sel est le résultat de l’ingéniosité de l’humanité qui a su l’extraire là où elle l’a trouvé, puis le transporter et le valoriser. Le sel conserve et assaisonne depuis la nuit des temps. Avec le développement de l’agriculture, au néolithique, la sédentarisation des populations oblige les individus à trouver de nouvelles techniques pour conserver les aliments. Le salage permettait de conserver le poisson et la viande pendant de longues périodes, un mode de conservation, comme le fumage ou la fermentation, connu depuis l’antiquité et toujours utilisé aujourd’hui, notamment dans la charcuterie, ce n’est pas pour rien qu’on appelle aussi ces produits des « salaisons ». La salaison peuvent être réalisées à sec, en recouvrant l’aliment de sel ou en saumure, dans une eau salée dans laquelle on immerge des aliments comme les fruits ou les légumes.

Au-delà de l’aspect alimentaire, le sel revêt un volet historique et sociétal. Depuis la Préhistoire, le sel sert de monnaie dans les échanges commerciaux. Sous l’Antiquité romaine, c’est un mode de rémunération des soldats, qui sont payés en sel. Le mot « salaire » en est une résurgence. Pour les gouvernants ou les États, le sel était un moyen de percevoir des revenus, sous forme de taxes, d’impôts, ou en transformant son exploitation ou sa commercialisation en monopole.

L’exploitation du sel reste une industrie gourmande en main d’œuvre qui nécessite un savoir-faire et des outils spécifiques. L’eau de mer contient en moyenne trente grammes de sel par litre d’eau. Pour permettre l’évaporation, il faut de vastes surfaces planes et imperméables, les marais salants. On en trouve dans beaucoup de régions côtières, un peu partout dans le monde. Le sel gemme ou halite provient de gisements marins enfouis à la suite de mouvements tectoniques et volcaniques. Historiquement, ces mines étaient directement creusées en remontant les blocs de sel. Dans les régions de montagne, des puits étaient creusés pour connecter les mines à des sources d’eau, de fonte des neiges, par exemple. L’eau chargée de sel était acheminée vers les salines dans des corniches en pin ou en mélèze, puis chauffée pour récupérer le sel.

Ces différentes sources expliquent les différents types de sels que l’on trouve aujourd’hui dans le commerce. Les compositions, textures et couleurs varient. Ces sels spéciaux ont conquis un marché toujours en quête de nouveauté, avec des arguments assez peu probants quant à leurs bienfaits ou à leurs spécificités. Les yeux fermés, il est assez difficile de les distinguer les uns des autres. Peut-être que, mélangés à de l’eau purifiée, on peut sentir une pointe d’agrume dans l’un d’entre eux, ou une saveur plus douce dans un autre. Dissoutes dans un plat, les variations sont pratiquement indiscernables. Mais leurs couleurs enjolivent très certainement les préparations. Le sel rose de l’Himalaya (qui provient généralement des moins vendeuses mines de Khewra au Pakistan), le noir d’Hawaï, le bleu de Perse, le rouge de Murray River en Australie, les cristaux floconneux du Maldon d’Essex, les givrés du désert égyptien, les perlés de Djibouti… C’est avant tout un filon économique à grand renfort de marketing et de belles images sur les réseaux sociaux.

En termes de goût ou de santé, c’est moins joli. À la composition du sel, un atome de sodium pour chaque atome de chlore (chlorure de sodium ou NaCl), s’ajoutent d’autres entrant provenant de l’environnement, des algues, des minerais qui donnent les couleurs originales. Certains sont plutôt dangereux, l’uranium, l’aluminium et le cadmium, d’autres sont intéressant pour la santé, fer, potassium, magnésium, calcium et autres oligo-éléments. Mais leur quantité est si faible qu’ils paraissent absents et n’ont aucune valeur ni nocive ni nutritionnelle pour notre organisme. Ce snobisme du sel est donc à prendre avec des pincettes.

France Clarinval
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