Après le referendum

Non, mais !

d'Lëtzebuerger Land vom 12.06.2015

Dire que le Luxembourg est désormais partagé en deux camps très inégaux n’est certainement pas juste, car le verbe partager, depuis dimanche dernier, ne fait plus partie du vocabulaire luxembourgeois. Le constat est cruel et sans appel, les masques sont tombés et quatre Luxembourgeois de souche sur cinq ont braillé : Mir wölle bleiwe wat mer waren. Yvan veut bien laisser aux journalistes et politologues le soin d’analyser doctement et poliment les causes de ce « non, mais ! » jeté à la figure tant du gouvernement que des étrangers, il n’en voit pas moins dans ce désaveu un aveu de peur, d’impuissance et surtout de complexe d’infériorité. Il ressent de la honte pour son pays et de la colère pour ses gouvernants qui, par un lâche calcul politique ou par un irresponsable coup de poker, ont mis le pied à l’étrier d’une extrême-droite qui ne se gênera plus, désormais, d’exhiber sa xénophobie au grand jour.

Il y a du Mitterand dans Bettel, car on se souvient que feu le Président français a instauré avec machiavélisme une pincée de proportionnelle dans le système électoral pour permettre au Front national de venir embêter la droite. Gambia s’est comporté comme l’éléphant dans le magasin de porcelaine, épargnant tout juste quelques chiens de faïence qui ne vont plus cesser de s’épier. Mais le parallèle avec le Front national ne s’arrête pas là. Les chefaillons du non se vautrent en effet, comme les Le Pen, dans la théorie du complot et se plaignent de l’ostracisme des « élites » à leur égard. Autre convergence pour le moins troublante : la sous-représentation dans les sondages du vote non et du vote FN, comme si ces électeurs ressentaient malgré tout encore un semblant de honte pour leurs opinions.

Quoiqu’il en soit, les électeurs ont tranché les discussions sémantiques entre les versions luxembourgeoise, française et allemande de la deuxième question, en affirmant haut et fort que les étrangers ne sont pas des concitoyens, mais bien des résidents, voire des résidus. Bien conscients de leurs privilèges (plus de la moitié d’entre eux admet le « déficit démocratique »), ils n’en sont pas moins décidés à en jouir le plus longtemps possible. Mais soyons francs : fallait-il être aveugle pour ne pas avoir reconnu cet « état de la nation » qui s’étalait au grand jour dans les lettres aux rédactions, les réseaux sociaux et les cafés de commerce, à l’image même de la célèbre lettre volée dans la nouvelle éponyme d’Edgar Allan Poe ? Le divorce entre étrangers et Luxembourgeois, mais aussi entre les Luxembourgeois « d’en haut » et les Luxembourgeois « d’en bas » semble bel et bien consommé.

Mais si, après tout, on se mettait à rêver. Si le triomphe du non allait se muer en victoire à la Pyrrhus : exit alors le droit de vote des étrangers, mais « entre ici » le droit du sol ! Le droit du sol, rappelons-le, est appliqué par les pays d’immigration (États-Unis, France) pour accueillir et intégrer les étrangers, alors que le droit du sang permet aux pays d’émigration (Allemagne) de garder le lien avec leurs émigrants. De terre d’émigration au XIXe siècle, le Luxembourg est devenue terre d’immigration au XXe et injectera peut-être au XXIe, qui sait, une nouvelle dose de droit du sol dans sa législation. Après le cauchemar, il est bien permis de rêver, et après avoir chanté la Heemecht, ça fait du bien d’entonner l’Internationale.

Yvan
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