Le Mudam fête cette année son cinquième anniversaire. Un entretien avec son directeur Enrico Lunghi sur sa politique d’acquisition, sa stratégie d’expositions et quelques chiffres

Le local et le global

d'Lëtzebuerger Land vom 24.03.2011

d’Lëtzebuerger Land : Voilà deux ans maintenant que vous avez pris vos fonctions en tant que directeur du Mudam. Après une année 2009 que vous avez vous-même qualifiée d’année d’observation, pouvez-vous dresser un bilan de 2010 ?

Enrico Lunghi : Ce fut la première année de programmation sous ma direction et je pense que c’est la première année où Mudam a eu l’occasion de commencer à se stabiliser. Auparavant, j’ai le sentiment qu’il s’agissait surtout de réagir aux urgences : celle de l’ouverture, celle de l’année culturelle, puis celle du départ de Marie-Claude Beaud et de mon arrivée. Mudam est encore un jeune musée, nous allons fêter ses cinq ans en juillet cette année. C’est un musée en devenir et 2010 marque en quelque sorte le début de l’adolescence du musée.

C’est dans cet esprit que nous avons apporté quelques innovations. Nous montrons désormais la collection permanente : il y eut d’abord Brave New World qui investissait tout le musée, et dorénavant le premier étage est dédié à des œuvres de la collection uniquement. Plein de choses fonctionnent de manière plus régulière : le café et la boutique marchent mieux, le parc a été terminé l’année dernière et nous avons eu l’occasion de l’investir d’œuvres d’art pour que le site entier soit à considérer comme un lieu artistique. Le musée est encore en train de se faire et, bien sûr, il y a beaucoup de choses à développer et à faire mûrir.

En termes de fréquentation, constatez-vous une évolution ?

On constate que l’on est parvenu à stopper la désaffection de fréquentation constatée depuis 2008, après des débuts remarquables dus à l’ouverture en 2006 puis à l’année culturelle. Voilà un an qu’on a changé les horaires d’ouverture (le musée est désormais ouvert jusqu’à 20 heures le mercredi, le jeudi et le vendredi, ndlr.), et on commence seulement à voir les résultats maintenant. Ces nocturnes nous apportent de nouvelles catégories de publics : jeune et branché pour les playlists du mercredi, luxembourgeois pour les Mudam Akademie et plus littéraire pour les soirées Many spoken words (voir page 14). On brasse une palette plus large, et la part de la population luxembourgeoise a sensiblement augmenté, de 53 à 57 pour cent. Faire en sorte que de plus en plus de grands-ducaux utilisent le Mudam, c’était un de mes objectifs car un musée ne peut pas vivre du tourisme, à de rares exceptions près. Mais attention, que le musée s’adresse principalement aux locaux ne signifie pas que le programme doit être local !

Une des missions qui vous incombent est l’accroissement de la collection. On a souvent entendu dire que le budget alloué était restreint, qu’en est-il et quelle est votre stratégie d’acquisition ?

La somme allouée à la collection est toujours celle qui a été fixée par la loi de 1998 préludant à la fondation du futur Mudam. En 2010, nous avons eu 6,5 millions d’euros de l’État, dont 620 000 destinés à accroître la collection. Cette somme n’a pas vraiment évolué depuis 1998, malgré l’inflation et la forte hausse du marché de l’art. C’est effectivement un petit budget pour un musée qui doit constituer une bonne collection. On essaie d’améliorer cela par des donations en argent. Par exemple, l’année dernière trois donations exceptionnelles des amis des musées nous ont permis d’acheter une œuvre que nous souhaitions acheter.

En ce qui concerne l’acquisition des nouvelles œuvres de la collection, êtes-vous tenu en tant que musée grand-ducal de privilégier le marché luxembourgeois ou d’assurer un quota de « Luxemburgensia » ?

Ce serait tout à fait non-professionnel et jamais je n’aurais accepté un tel contrat. Ça ne s’est jamais vu qu’un musée se cantonne à son pays, surtout un musée à vocation internationale. Nous ne pouvons quand même pas acheter uniquement dans les deux ou trois galeries qui proposent de l’art « international » ici ! Cela impliquerait que le musée n’est qu’une filiale des galeries luxembourgeoises, or ce n’est absolument pas son objectif. Nous sommes très attentifs à ce que montrent les galeries luxembourgeoises et aussi à ce que font les artistes luxembourgeois, mais nous avons une mission internationale, et pour l’intérêt de tous et la crédibilité du Mudam nous devons faire très attention à la qualité que nous souhaitons atteindre. Je suis catégorique là-dessus.

En même temps – et c’est normal – , le Luxembourg est très représenté dans notre collection, cinq à six pour cent des artistes sont Luxembourgeois, ce qui fait de nous la collection la plus spécialisée dans le domaine au monde. Il faut savoir en outre que plus de 90 pour cent de toutes nos dépenses sont réalisées au Luxembourg : le Mudam profite donc avant tout à l’économie luxembourgeoise.

Pour les acquisitions, on procède comme n’importe quel musée, avec un comité scientifique. À mon arrivée, j’ai demandé aux membres de celui de Marie-Claude Beaud de m’accompagner pour une année encore. Je les connaissais tous et j’avais besoin de temps pour réfléchir à de nouvelles propositions. Aujourd’hui, j’ai invité Barnabás Bencsik (directeur du Ludwig Museum - Museum of Contemporary Art, Budapest), Jimena Blázquez Abascal (directrice de la Fondation NMAC, Vejer, Cádiz, Espagne), et Julia Draganovic (curateure indépendante). Ils font tous partie de ma génération, il y a des affinités entre nous. J’ai aussi tenu à garder du précédent comité Paul Reiles (vice-président de la Fondation Musée d’art moderne grand-Duc jean et directeur honoraire du MNHA) pour beaucoup de raisons, dont celle d’assurer une sorte de continuité. On se réunit deux fois par an, même si on se voit et on communique régulièrement.

Votre nom reste encore souvent associé au Casino – Forum d’art contemporain de Luxembourg, que vous avez fait naître et grandir. On constate que vous restez fidèle aux artistes que vous suiviez attentivement du temps du Casino (cf. les affiches de l’artiste belge Charlier, connu à l’époque du Casino, qui viennent de rentrer dans la collection du Mudam). N’est-il pas nécessaire pour vous de faire la part des choses, de tourner définitivement la page ?

Les affiches de Charlier sont une donation de l’artiste, je n’allais pas la refuser… Je suis effectivement très fidèle aux artistes que je suis depuis des années et je ne vois pas pourquoi je ne continuerais pas à travailler avec eux. Ce serait idiot de se priver de cette collaboration avec des artistes internationaux. Je n’ai pas changé, j’ai ma sensibilité artistique et ma vision des choses, mais Mudam n’est pas un centre d’art. Nous sommes un musée, nous avons une visibilité de musée, un programme de musée, une collection permanente à gérer… Ceci dit, j’accorde énormément d’attention au Casino, je suis très fier du travail accompli et de ce qu’il est devenu mais ce n’est plus à moi de m’en occuper. Je m’en voudrais de m’immiscer de quelque façon que ce soit.

Le programme d’exposition actuel du Mudam semble beaucoup plus dense aujourd’hui, ne craignez-vous pas de perdre le public, voire de l’assommer d’expositions ?

Avant moi, le rythme des expositions n’était pas clairement défini. Il y avait beaucoup de vernissages, ce qui était reproché à Marie-Claude. Beaucoup d’expositions se chevauchaient. Les projets étaient annoncés individuellement avec un vernissage à chaque fois. Aujourd’hui il y a trois vernissages par an. Trois blocs d’expositions. L’idée est de montrer Mudam comme un musée cohérent et à chaque fois différent. Je veux que le public vienne voir le musée, et non pas une exposition en particulier.

Nous avons un bâtiment qu’il faut bien comprendre, et notre objectif est de l’exploiter au mieux pour notre mission qui est l’art contemporain. Or ce bâtiment n’a pas de parcours obligé, c’était voulu par Pei. Cela accentue cette impression de désordre que l’on peut avoir. Main­tenant nous avons distribué l’espace par étage : le sous-sol et le rez-de-chaussée sont destinés aux expositions temporaires et le premier étage à la collection permanente qui change deux fois par an, avec quelques repères comme les œuvres « fixes » de la collection qui sont présentées dans le musée, la chapelle de Wim Delvoye ou la fontaine de Su-Mei Tse. C’est plus cohérent et le public aura ainsi tous les jours quelque chose à voir. Je préfère ne pas proposer un parcours muséographique, mais un lieu d’art contemporain. Je voudrais que l’on fréquente régulièrement Mudam pour se laisser surprendre – ou pas.

Angela Wilde
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