Ateliers d’artistes

Based on a true studio

d'Lëtzebuerger Land du 24.03.2011

« Qu’ils installent des containers comme ils l’ont fait pour De Neie Lycée et nos problèmes seraient rapidement résolus ! » Dans sa colère du lundi matin, l’artiste Rafael Springer pointe du doigt un problème qui est en train de devenir une urgence dans le paysage culturel luxembourgeois. On connaissait les difficultés des musiciens pour trouver des salles de répétition à loyer modéré, mais on avait un peu oublié la catégorie des artistes-plasticiens. Lorsque le boom culturel des années 1990 a accéléré la création et l’institutionnalisation de lieux d’exposition de l’art contemporain, la notion d’atelier d’artiste n’était pas vraiment à l’ordre du jour. Les nouveaux curateurs et commissaires n’étaient de toute façon pas très enclins à favoriser une scène artistique nationale qui a plus tendance à produire de la forme que du contenu.

De toute façon, l’on pouvait toujours dire qu’il y a bien la Schläifmillen. Et effectivement, cet argument a longtemps servi pour faire taire les rares voix dissonantes du milieu des artistes plasticiens. Il faut dire que les anciens comme Biwer, Brandy et Ney se sont débrouillés de leur côté. Jean Marie Biwer a quasiment pris l’exil à Basbellain en transformant une vieille maison rurale en atelier. Brandy a pris la voie du succès commercial et s’est installé un atelier impressionnant à Merl, un lieu à mi-chemin entre musée de l’automobile et atelier d’artiste. Et Moritz Ney a pu sortir de son cagibi, installé dans l’arrière-boutique d’un bistro, pour se retrouver dans la Montée de la Pétrusse, calé entre un restaurant italien et le ministère de la Culture. Moritz Ney vit dans son atelier, sa maison est une sorte de Gesamtkunstwerk , qui lui sert également de galerie. Il a élimé l’intermédiaire marchand d’art en invitant les gens à venir fouiller chez lui les piles dessins qu’il produit.

Mais ces trois exemples ne sont plus représentatifs d’une situation qui a fondamentalement changée depuis la fin des années 1980. Créer des sections artistiques dans les lycées et faire miroiter « les métiers de l’art » aux étudiants (tel que l’a encore récemment fait le Mudam) peut avoir des conséquences. La génération de ceux qui ont fait leurs études d’arts plastiques ou de beaux-arts pendant les années 1990 est maintenant active et a pour ambition de se professionnaliser. Le discours théorique reste pratiquement inexistant, mais les productions individuelles se sont mul­tipliées. Des mesures d’encouragement, comme le statut d’artiste indépendant, en sont une conséquence. Au ministère de la Culture on constate qu’il y a en moyenne 35 artistes-plasticiens qui bénéficient de ce statut, renouvelé tous les deux ans, qui se résume au fond à une sorte d’aide sociale pour pouvoir garantir un revenu minimum aux concernés. Le cliché du « Sonndesmooler » est en train de s’évaporer pour faire place à des artistes dont les ambitions sont réelles et réalistes en même temps. Ainsi, la recherche et la demande d’ateliers s’est fortement amplifiée et accélérée ces dernières années.

Les ateliers du collectif de la Schlaïf­millen à Luxembourg-Ville sont les premiers du genre à avoir été ouverts au Luxembourg. En 1987, dans les anciens bâtiments industriels au numéro 9 rue Godchaux, s’est constituée, avec le soutien de la Ville de Luxembourg, une association qui avait pour but de rendre accessible des ateliers d’artistes à tous ceux qui se trouvent dans une « situation financière modeste ». La Ville de Luxem­bourg met à disposition des lieux qui ont été remis en état, d’abord par ses membres fondateurs à partir de 1983 et ensuite en grande partie par les services de la commune à partir de 1990. Depuis, les ateliers, que l’on peut visiter lors de la traditionnelle « porte ouverte », sont régulièrement présentés comme un modèle du genre.

Ce qui est certain, ce que l’on ne peut pas reprocher aux membres, (dont seulement deux n’ont pas encore dépassé la cinquantaine) de pratiquer un jeunisme exagéré. La liste d’attente pour accéder à un des ateliers est longue et décourageante, car les statuts de la Schläifmillen ont un talon d’Achille majeur : la durée d’occupation des ateliers n’est pas limitée dans le temps1. Cela a pour conséquence que les anciens ateliers ouverts se sont transformés en de petites cellules à caractère plus ou moins privé. Ainsi, la Schläifmillen est devenue la colonie d’artistes « pépère » du Luxembourg. Ici, la vie est un long fleuve tranquille, pour un montant de 120 euros par an. Des quinze artistes de la Schläifmillen, un seul (!) a le statut d’artiste indépendant, il s’agit de Rafael Springer, un des derniers à avoir été acceptés sur le site.

En janvier 2001, les six artistes du collectif 6th floor ont commencé à remettre en état la scierie de la Neimillen à Koerich. Sur une surface de quelque 600 mètres carrés, le collectif se définit comme étant interdisciplinaire et intégrer non seulement les ateliers individuels des membres, mais également un espace d’exposition de 150 mètres carrés. Cette initiative privée n’est cependant pas évidente : après avoir investi quelque 7 000 heures de travail dans l’aménagement des lieux et dans la perspective du dixième anniversaire du collectif , l’équipe a changé. L’artiste-photographe Jeanine Unsen vient ainsi de quitter 6th floor, tout simplement parce que son atelier ne permettait pas d’y installer en permanence son matériel photo qui souffrait des conditions d’humidité et de froid ambiant.

En 2003, la Ville de Differdange a développé un plan de développement culturel qui prévoyait la mise en place de structures d’accueil pour ateliers d’artistes. Depuis un an, une quinzaine de lieux, appartenant à la commune sont mis à disposition, pour un loyer allant de 100 a 300 euros, majoritairement à des artistes-plasticiens. Tania Brugnoni, qui travaille au service culturel de la Ville de Differdang,e reçoit en moyenne deux appels par semaine et il y a actuellement une liste d’attente de quarante personnes qui recherchent des lieux de création. Cette demande pourrait avoir de conséquence directes : à Differdange, on pense à une réaffectation des anciens bâtiments industriels d’Arcelor-Mittal à de tels ateliers. Un site de près de 6 000 mètres carrés qui pourrait être remis en état et transformé en une structure d’ateliers d’artistes. Le ministère de la Culture commence à s’intéresser au projet de Differdange, des études de faisabilité sont en cours , mais même dans les scénarios les plus optimistes, un tel lieu ne pourrait fonctionner que dans trois ans.

L’initiative privée la plus récente s’est formée en novembre 2010 sur un autre site d’Arcelor-Mittal, à Dommel­dange. En face des studios d’enregistrement de Gast Waltzing, les artistes-plasticiens Max Mertens, Frank Milt­gen, Pascal Piron et Roland Quetsch louent une partie du premier étage d’un local industriel désaffecté. Le concept d’ALZ Studio se veut élargi : dans l’idéal, l’atelier serait ici un lieu d’échange intellectuel, aussi bien qu’un plateforme de production. Mais le Collectif ALZ de Dommeldange cristallise un autre aspect de la création luxembourgeoise dans le domaine des arts plastiques : les quatre membres sont tous enseignants d’art plastiques. Cette situation du professeur-artiste demeure un des aspects essentiels de l’histoire de l’art moderne et contemporain au Luxembourg. La perspective d’un emploi et d’un revenu stables, reste très importante pour une majorité d’artistes au Luxembourg, qui voient dans leur activité d’enseignement un moyen de financer leur pratique artistique.

Un autre professeur d’arts plastiques, Edmond Schintgen, se trouve aussi être le bourgmestre de Bech, et c’est dans cette fonction qu’il a l’intention de mettre à disposition un atelier d’artiste sur le site de l’ancienne gare de sa commune. La Commune de Bech veut revaloriser le site. Après que le ministère de la Culture ait transmis l’information, l’administration communale a déjà reçu huit candidatures pour un endroit qui pourrait ouvrir ses portes en juin 2011.

La demande d’ateliers de la part des artistes-plasticiens va sans doute encore augmenter ces prochaines années. Ce qui manque cruellement sont des grands espaces que l’ont pourrait mettre à disposition à court terme et pendant des périodes déterminées dans le temps. Des sites qui seraient plus qu’un atelier de production, des structures flexibles qui pourraient servir à des utilisateurs aux projets indviduels et communs. Un jour, il faudra également se poser la question du stockage. Tel le pilon pour l’industrie du livre, la destruction d’œuvres d’art est une réalité. Par manque de place, il n’est pas rare que l’on soit forcé de jeter ou de détruire des pièces. Il faudra aussi commencer le débat sur la qualité des œuvres produites. Sinon comment peut-on juger et promouvoir un art produit au Luxembourg, et comment faire avancer l’état des choses ?

En général, l’art au Luxembourg a gardé une tendance qui l’amène régulièrement à se perdre dans un formalisme souvent trop systématique. Les initiatives décrites ici sont d’ordre privé, ou alors publiques, mais à un niveau communal. Reste à voir quel est l’impact de cette situation sur une politique culturelle officielle au Luxembourg.

1 « In den Statuten der ‘Asbl Schläifmillen’ steht, dass nur Künstler hier arbeiten dürfen, die sich aus Geldmangel kein eigenes Atelier leisten können. Die Aufnahme neuer Mitglieder muss einstimmig erfolgen. Wer seine Werkstatt nur sehr selten benutzt, k
Christian Mosar
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