Musique live

Disco-punk, mais pas trop

James Murphy au Neimënster
Foto: Sébastien Cuvelier
d'Lëtzebuerger Land vom 15.06.2018

Il est 22h50 en ce samedi 9 juin 2018. James Murphy se tient debout à l’extrémité de la scène érigée annuellement par l’Atelier dans la cour de l’Abbaye de Neumünster. Il s’adresse à une foule compacte affublée de ponchos transparents, du genre qu’on ne voit qu’en festival ou sur un chemin de randonnée montagnarde. Une foule qui vient de se prendre une bonne heure de pluie sans broncher, trop heureuse qu’elle était de revoir l’enfant prodige new yorkais enfiler les bombes disco-punk comme d’autres avalent des bières dans les bars de la ville en ce samedi soir. Vingt-deux heures cinquante donc, et James Murphy, leader, penseur et homme à tout faire de LCD Soundsystem, l’un des groupes les plus importants du siècle, attendu comme le messie sur les scènes du monde entier, annonce avec dépit que le prochain morceau sera le dernier du concert, la faute à un couvre-feu strict décrété par la ville. On croit rêver. Un samedi soir, à l’heure où la péninsule ibérique n’est pas encore au dessert, au moment où la rue du Marché-aux-Herbes se remplit de yuppies commandant spritz et autres cocktails tout en jacquetant sans retenue sur fond de pénibles mélodies mainstream télescopées. On a du mal à croire que LCD Soundsystem doive nous priver de trois morceaux afin de satisfaire un règlement communal puisant probablement sa raison dans la tranquillité du voisinage. Il reste du travail à accomplir avant de faire de Luxembourg une véritable capitale culturelle.

Le groupe devait initialement se produire à 21 heures, mais les trombes d’eau qui se sont abattues durant deux bonnes heures sur le Grund et au-delà ont fait circuler les rumeurs d’annulation, accentuées par le fait que le public était parqué dans la verrière de Neumünster jusque 20h45 (l’ouverture des portes était prévue à 19 heures). C’était sans doute un fameux défi pour l’équipe technique d’assurer le concert dans ces conditions, et un soulagement pour tous d’avoir échappé au forfait général. Mais la demi-heure de retard avec laquelle le concert débuta ne put être rattrapée, et on ne sait pas très bien contre qui retourner notre frustration : la ville et son règlement rigide, l’Atelier trop timoré pour l’outrepasser ou James Murphy beaucoup moins punk que dans sa jeunesse. Une issue un poil décevante pour un concert dont l’intensité a réjoui toute une génération de musico-romantiques.

Le set commença en trombe avec You wanted a hit et son rythme entêtant donnant le ton pour un concert où, pluie ou pas, retard ou pas, il fallait être diablement rabat-joie pour ne pas danser. « You wanted a hit / But maybe we don’t do hits / I try and try / It ends up feeling kind of wrong » déclame James Murphy, comme pour mettre les pendules à l’heure dès le départ. Après quasi dix minutes, sans interruption, la mélodie synthétique de Tribulations résonne et ramène tout le monde en 2005. Des souvenirs embrumés de soirées remontent à la surface tandis que Nancy Whang, claviériste en chef (et membre de The Juan MacLean), s’affaire à faire danser tout le monde au son vintage de son synthé. Les gouttes sur les joues ne sont pas dues à la pluie, ce sont des larmes de joie, qu’on n’attendait pas forcément en 2018. En quinze minutes de concert, tous les tracas sont oubliés et on ne sait plus trop en quelle année on est. James Murphy est devant nous et Luxembourg est le centre du monde.

Le reste de la soirée fut du même acabit. I can change, get Innocuous!, Movement, Someone great, Dance yrself clean, autant de non-hits dans l’acceptation du groupe, des brûlots incendiant un parvis dont l’unique désir pour réussir sa soirée serait de pouvoir obtenir une bière bien fraîche, une gageure à la vue des dizaines de mètres de files. Il y avait clairement un souci d’organisation à ce niveau-là, et ce n’est pas très pro de l’Atelier de s’en dédouaner de manière aussi maladroite (« gedrenks net vum atelier » sur le commentaire Facebook d’un spectateur mécontent). Mais bon on sait que le spectateur luxembourgeois est facilement râleur, et franchement on s’en fiche un peu du bar, un peu moins du son (assez moyen, on mettra cela sur compte de la météo) et du prix du ticket (59 euros + frais en prévente quand même, en gros le prix de toute la discographie du groupe). La machine à danser de Brooklyn a mis tout le monde d’accord tout le long de 90 minutes d’un feu d’artifice de beats, riffs, nappes, descentes et montées culminant lors des ultimes moments du jouissif All my friends et son final orgasmique. « We know we’re gonna be up late / But if you’re worried about the weather / Then you picked the wrong place to stay » s’exclame James Murphy, comme pour résumer la soirée. Sauf qu’on ne restera pas debout si tard, il n’est que 22h58. Ouf, Luxembourg peut s’endormir paisiblement.

Sébastien Cuvelier
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