Au plus près des petites choses du quotidien

d'Lëtzebuerger Land du 10.06.2022

Alexander Zeldin, jeune et fameux auteur dramatique et metteur en scène britannique qui a été l’assistant de Peter Brook, est attaché à un théâtre social et réaliste. Il est déjà apprécié du public luxembourgeois par le biais de sa pièce Beyond Caring présentée en 2016 au Grand Théâtre. Il en sera artiste associé la saison prochaine et il y présentera fin octobre Faith, Hope and Charity, dernier volet de sa « trilogie des inégalités ». Début juin, nous avons découvert sa première pièce écrite en français, Une mort dans la famille, spectacle coproduit par les Théâtres de la Ville de Luxembourg. Un récit familial et personnel (il y évoque la perte à l’adolescence de son père et de sa grand-mère maternelle australienne) qui est aussi histoire intergénérationnelle et fait de société. Créée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier début 2022, Une mort dans la famille (forgée pendant le confinement) questionne la vie et la mort, la fin de vie et le deuil, la déchéance physique et mentale tant dans le cadre de la famille que dans le monde fermé des maisons de retraite. On ne peut s’empêcher de penser aux récents scandales des Ehpad en France.

L’écriture d’Alexander Zeldin colle à la vie, à ses ritournelles et à ses aléas, au quotidien, aux doutes et aux questionnements des personnages. Sa mise en scène sensible nous plonge dans leur intimité - une partie du public partage d’ailleurs le plateau avec les comédiens alors que les « morts » viendront prendre place aux côtés des spectateurs. Il invente des tableaux panoramiques, des scènes collectives réglées par les repas et les attentes, et permet à sa troupe composée de comédien(ne)s de renom et de non professionnel(le)s de livrer de belles performances. Une mort dans la famille, pièce forte et juste, nous émeut, nous bouleverse, l’histoire qui se joue là pourrait être la nôtre. Mais au ton grave, à la violence sourde et à la douleur tangible viennent s’ajouter tout au long du spectacle plein d’autres émotions, des moments de rire, de tendresse et de légèreté comme autant de respirations nécessaires.

Quand la pièce commence, nous sommes dans une maison familiale. La grand-mère Marguerite qui peine à se déplacer (remarquable et solaire Marie-Christine Barrault dans un personnage entre tristesse et allégresse) est de retour après s’être échappée d’une première maison de retraite. Avec ses petits-fils ados Alex et Oliv’ (justes Hadrien Heaulmé et Aliocha Delmotte), elle attend sa fille Alice (convaincante Catherine Vinatier en mère au bout du rouleau), pour le dîner. Là, traîne aussi le fantôme du père, David, disparu un an auparavant et qui hante les lieux (Marguerite ne veut plus utiliser son fauteuil), les personnages (Alex voit « les empreintes de la mort qui rôde ») et leurs relations marquées par la violence et une grande négligence. Bon gré, mal gré, Marguerite retournera en Ehpad, y rencontrera Simone (merveilleuse Annie Mercier), drôle et malicieuse ancienne fille de joie, Lambert et les autres, autant de solitudes encadrées par deux femmes du « care » déterminées et résilientes, Josiane (attachante Nicole Dogué) et Fanta (séduisante Karidja Touré). Marguerite que la seule évocation du jardin met en joie, passera son temps à attendre la visite de plus en plus rare des siens avant de disparaître.

Dans une scénographie minutieuse et impressionnante signée Natasha Jenkins (à la fin, la machinerie se dévoilera dans une séquence circulaire où l’on croisera personnages et techniciens), les décors, tous des intérieurs, fourmillent d’accessoires réalistes, qu’il s’agisse du foyer familial ordinaire et vieillot – sur le plateau, on prépare à manger en direct et on mange pour de bon – de la salle polyvalente, commune et froide de l’Ehpad ou de la chambre médicalisée, impersonnelle et défraîchie, de Marguerite.

Les changements de scènes/décors se font sur le mode de la rupture, la salle est subitement plongée dans le noir et emplie d’une musique percutante (création sonore : Josh Grigg), intrigante ou inquiétante (orage, pluie, sirène…). Omniprésente, la musique c’est aussi celle fredonnée par Fanta, la chanson de Lambert qui s’ouvre aux autres pensionnaires, la trompette d’Oliv’ qui accompagne le départ de Marguerite ou encore les notes au piano jouées par Alex dans une sorte de réconciliation ultime, « c’est magique quand tu joues », dira Alice.

Une mort dans la famille, un beau spectacle sensible et émouvant, une vraie leçon de vie !

Karine Sitarz
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