Hearing sur la chasse

Terrain vague

d'Lëtzebuerger Land du 29.03.2007

Les Luxembourgeois sont des gens bien élevés. Lundi, la commission parlementaire de l’Environnement avait invité au parlement 26 organisations concernées par la chasse. On s’attendait à de l’ambiance, car les réponses au questionnaire élaboré par les députés laissaient prévoir que la matière est explosive. Des positionsdiamétralement opposées entre les chasseurs regroupés pour laplupart dans la Fédération Saint-Hubert des Chasseurs du Grand-Duché avec ses organisations satellites comme les garde-chasse assermentés ou encore la Centrale du chien de chasse. Selon les thèmes discutés, les médecins vétérinaires, les représentants des agriculteurs, les sylviculteurs, les chasseurs écologiques se joignirent aux positions de la Fédération des chasseurs.

Le président des chasseurs Jos. Bourg avait bien tenté de lancer quelques piques en direction des experts nommés par la commission ou encore contre des personnes qui osaient discuter de la chasse alors qu’ils n’étaient pas chasseurs et ne savaient donc pas de quoi ils parlaient,mais ce n’était pas bien méchant. L’essentiel se passe en coulisse. 

Les organisations de défense des animaux et de la nature furent pour la plupart modérées dans leurs propos, avec des thèses et des positions constructives allant jusqu’à proposer l’ouverture du dialogue avec ceux qu’elles ont toujours considérés comme des ennemis de la nature. À l’extrémité, le Groupe d’action végétarien pour l’égalité animale ou le Comité pour la défense des droits des animaux et la révision des lois nationales et européennes touchant les animaux, farouches opposants à toute pratique de chasse. Des propos qui – même si l’approche était parfois intéressante – ne furent pas pris au sérieux parce qu’ils étaient noyés dans des affirmations agressives ou tout simplement ridicules. C’est d’ailleurs à la suite de leurs déclarations violentes que le député DP Charles Goerens eut lui aussi sa minute de gloire lorsqu’il s’insurgea contre le parallélisme déplacé entre les pratiques de la chasse et l’holocauste. Lui, qui n’avait d’ailleurs pas osé ouvrir la boîte de Pandore lorsqu’il fut lui-même le ministre de l’Environnement et toucher aux us et coutumes de la chasse datant d’une autre époque. 

Vieille de plus de cent ans, la loi sur la chasse doit être dépoussiérée d’urgence. Il y eut un large consensus sur ce point. Or, ce qui semblait être une évidence est pour le député vert Camille Gira une percée de taille : « Lorsque la discussion a été lancée après les dernières élections, nous n’en étions pas encore là. L’annonce que le ministre de l’Environnement Lucien Lux élaborera une nouvelle loi pour le début de l’année prochaine est une petite révolution. » Il ne reste donc plus qu’à déterminer les questions qui devront être réglées dans la nouvelle loi : nourrissage, mode de chasse, densité acceptable de gibier, introduction d’espèces non autochtones, espèces chassables, période de chasse, syndicats de chasse et la question épineuse concernant les relations entre le droit de chasse et le droit de propriété.

D’abord le constat d’échec que la chasse n’a pas évité un accroissement massif du gibier avec les conséquences néfastes sur la régénération de la forêt et les plantations agraires aux lisières. Le résultat : 700 000 euros d’indemnisations pour les dégâts causés chaque année. Le nourrissage massif dugibier par les chasseurs a eu comme effet pervers de faire exploser les cheptels et de déréguler leurs périodes de reproduction. La biologiste Sandra Cellina avait trouvé de jeunes sangliers de quatre mois prêts à se reproduire. C’était certes une exception, mais elle confirmait la thèse que les bêtes trouvent largement de quoi se nourrir pour atteindre rapidement le poids minimal pour se développer et se reproduire.

Or, plus de quarante pour cent du contenu des 1 200 estomacs de sangliers analysés durant les deux ans d’études provenait de nourriture comme lemaïs, charriée dans les bois par l’homme (d’Land, 12/07). 

Les chasseurs ont longtemps prétendu que le nourrissage servait à les tenir éloignés des plantations agraires. Or, il n’y a pas photo entre la saveur du jeune épi en pousse et le maïs dur de silo déversé en forêt. De plus, la bête ira de toute manière labourer les pâturages en quête de complément alimentaire. Les rapports d’experts sont formels sur ce point-là. D’autant plus que les forestiers répètent eux aussi que « la biodiversité passe par l’estomac des chevreuils ». Le problème ne touche donc pas seulement les sangliers.

Il fut donc clair dès le début que la pratique du nourrissage massif était en ligne de mire. Le 6 mars dernier, le député CSV Michel Wolter avait tenté en vain de redresser la barre lors d’une réunion de la commission de l’Environnement où il remplaça Marco Schanck. Il essaya d’argumenter que ces dégâts n’étaient pas proportionnels à la population de gibier, que les bêtes étaient délogées par les joggeurs et promeneurs et donc forcées de se ravitailler dans les champs, que le nourrissage massif ne pouvait être qualifié d’irresponsable car il était parfaitement légal, mais que s’il devait être totalement interdit, les chasseurs voudront revoir en détail la question de l’indemnisation des dégâts causés par le gibier.

Il fut bien seul dans cette réunion où il fut même contredit par des députés de son propre groupe politique. Même son affirmation selon laquelle les chasseurs étaient des personnes responsables qui respectent les réglementations ne fut guère approuvée. On lui fit la remarque que l’introduction illégale des mouflons par exemple n’était pas la preuve d’une conduite responsable. Car les chasseurs s’étaient engagés par écrit à supprimer cette espèce non-autochtone, mais ils n’ont pas tenu promesse. Un autre exemple est l’importation récente et illégale de cerfs qui a été démasquée par des tests génétiques. Entre temps, les chasseurs ont reculé d’un cran et se disent prêts à abandonner le nourrissage pour se limiter à l’agrainage – une quantité restreinte de nourriture qui sert à appâter le gibier pour pouvoir l’abattre. Or, dans une prise de position de 2002, les chasseurs considéraient que cinq kilos d’agrainage par jour pour cinquante hectares étaient nécessaires pour « fidéliser » les bêtes.C’est énorme par rapport à la notion qu’en a l’expert allemand Ulf Hohmann (Forschungsanstalt für Waldökologie und Forstwirtschaft, Rheinland-Pfalz), lui-même chasseur, pour lequel l’agrainage doit se limiter à un seul kilo de maïs par jour sur cent hectares. Donc dix fois moins. 

De toutemanière, l’agrainage quotidien ne semble se justifier que pour la chasse à l’affût, lorsque les bêtes se rassemblent ou passent près d’un mirador. Or, 81 pour cent des sangliers sont tués lors de battues en forêt, neuf pour cent par affût avec agrainage et six pour cent à la lisière du bois. On voit mal ce qui justifierait un agrainage systématique pendant toute l’année alors qu’unappât suffirait pendant une courte période avant les battues. Aux termes du hearing au parlement, le rapporteur Romain Schneider (LSAP) a déclaré qu’il y avait un consensus sur le principe de l’agrainage.

Or, le contrôle de la quantité de nourriture distribuée est nécessairepour éviter un nourrissage massif tel qu’il est pratiqué aujourd’hui.Se pose d’une part la question de la faisabilité de ce contrôle etd’autre part l’avantage de cette pratique. Car si le but poursuivi est celui de réduire significativement les cheptels pour éviter la recrudescence des dégâts et permettre un rééquilibrage de la faune et de la flore, la chasse ne semble pas être la panacée aux dires des experts qui soutiennent un arrêt total de tout apport en nourriture de l’extérieur. 

L’agrainage serait donc le compromis trouvé pour satisfaire toutes lesparties. Reste à décider si la prochaine loi permettra un agrainage systématique ou s’il sera pratiqué de manière sélective. Si le résultat en est juste un changement d’étiquette, les efforts qui ont devancé l’élaboration de la loi auront été vains. La crédibilité des députés qui ont organisé les débats alimentés par les rapports de quatre experts – chasseurs et non-chasseurs – est en jeu. Car le mode de consultation de toutes les parties concernées ainsi que des experts en la matière est nouveau et permet de réfléchir à une ouverture des débats pour d’autres sujets que la chasse. Histoire de rééquilibrer les rapports de force, d’éviter les mainmises de lobbies sur la politique et de déminer les débats chargés d’émotions.

 

anne heniqui
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