H&M

Global Look

d'Lëtzebuerger Land vom 04.11.1999

Ciel, voilà l'hiver ! Après les vacances d'été et avant la gratification de fin d'année qui permettra de joindre les deux bouts, les poches sont vides. Comment se saper cet automne sans le sou ? Heu-reu-se-ment il y a H[&]M, le supermarché global de la sape à bon marché. Tentons l'expérience, pour jeune meuf par exemple, au hasard des étendoirs : sous-tif : 399 francs ; slip : 299 francs ; chaussettes : 199 francs ; fut : 799 francs ; t-shirt manches longues : 999 francs ; gros pull maille (offre spéciale) : 999 francs ; manteau long : 2 999 francs. Soit 6 693 francs, sans les chaussures et sans accessoires. Pas mal comme rapport quantité / prix. 

Les prix défiant toute concurrence sont d'ailleurs l'argument de vente principal de H[&]M - ou Hennes [&] Mauritz dans la version longue -, c'est compréhensible. Car côté qualité, le bilan est souvent moins glorieux. Les tissus avec des noms à préfixe néo- ou poly- et des suffixes en -ène, outre la facilité d'entretien, ont souvent comme qualité principale de crépiter et de faire se dresser les cheveux sur la tête dans les cabines d'essayage. Mais peu importe, le consommateur est conscient de tous les désavantages éventuels du produit et agit en toute connaissance de cause. Au Luxembourg (quatre magasins, 470 millions de francs de chiffre d'affaires durant les huit premiers mois de cette année), comme dans les autres onze pays européens dans lesquels la multinationale suédoise a ouvert 576 succursales, les clients viennent au H[&]M sans vergogne. Et même consciemment, comme un fast-food de l'habillement, qui a pourtant réussi à se forger une image de marque branchée et in. Contrairement aux autres chaînes bon marché du secteur, les clients n'ont pas honte de se vêtir au H[&]M. 

Bien au contraire. On assiste par exemple actuellement à l'émergence d'un nouveau groupe social, les jeunes diplômés des domaines dit « branchés » - pub, arts et spectacles, graphisme, journalisme, DAT et autres précarisés, débutants dans les professions libérales - qui lisent Wallpaper et nightlife.lu et sortent dans les nouveaux bars down-town, ne gagnent souvent pas beaucoup plus que le RMG, sont peut-être même demandeurs d'emploi ou encore étudiants, mais doivent néanmoins signifier leur appartenance à un groupe social. 

Ils en deviennent ce que les études sur les comportements de consommation appellent des « consommateurs zappeurs » (voir l'étude de Deloitte [&] Touche Consulting sur La compétitivité du commerce de détail luxembourgeois et du commerce urbain, décembre 1998 et d'Land n°52/98). Dans l'esprit du cross-over très tendance dans tous les domaines culturels, ce « zapping » consisterait alors à combiner plusieurs marques de plusieurs magasins, du haut et du bas de gamme, pour se forger un look dans le vent. Les Young Urban Professionals (dans les années 80 on les appelait yuppies), ces nouveaux urbains à baskets des villes usées, sacs à dos à bandoulière unique, n'hésitent pas à s'acheter des vêtements au H[&]M qu'ils ne garderont qu'une saison à peine, voire moins. À ce prix-là...

Créé en 1947 à Västeras en Suède par Erling Persson, qui s'est inspiré des magasins qu'il avait vu durant un voyage aux États-Unis, le premier magasin s'appelait Hennes, ce qui veut dire « les siennes » en suédois, parce qu'il ne vendait que des vêtements pour femmes. Le Mauritz n'est venu qu'en 1969, avec le rachat de l'armurier Mauritz Widforss à Stockholm et la reprise de son stock de vêtements d'hommes. Depuis lors,  le groupe suit une stratégie d'expansion aussi impressionnante que conséquente, dans une conquête du continent européen semblable à celles des Vikings : du Nord vers le Sud. D'abord les pays scandinaves - premier magasin en Norvège en 1964, au Danemark en 1967 - puis suivirent, dans l'ordre chronologique : l'Angleterre, la Suisse (1978), l'Allemagne (1980), les Pays-Bas, la Belgique (1992), l'Autriche (1994), le Luxembourg (premier magasin en 1996, au centre commercial Belle Étoile), la Finlande, et, l'année dernière finalement, la France, plutôt hostile à son implantation d'ailleurs, probablement parce que l'hexagone se considère toujours comme le nombril mondial de la mode. Durant les huit premiers mois de 1999, le groupe côté en bourse a ouvert 41 nouveaux magasins, 84 pour cent des ventes se font en dehors du territoire suédois, la marque continue à gagner des parts de marché partout et augmente son chiffre d'affaire de 25 pour cent par rapport à la même période de l'année dernière (110,7 milliards de francs de chiffre d'affaire de janvier à fin août 1999, dont quinze milliards de profit). Une machine impressionnante. L'année prochaine, le groupe prévoit de traverser l'Atlantique et d'ouvrir au moins trois succursales à Manhattan. En même temps, le réseau européen sera élargi sur l'Espagne. 

Parallèlement vient d'être lancé un système de vente par Internet (pour le marché suédois uniquement), la vente par correspondance analogue fonctionnant depuis la fin des années 1980. Le fonctionnement et la gestion de l'entreprise - quelque 17 000 employés dans les plus de 570 magasins en tout (dont une centaine dans les quatre magasins du Luxembourg), un chiffre d'affaires de 125 milliards de francs en 1998, quinze bureaux de productions (sept en Europe et huit en Asie), qui contrôlent autour de 1 600 fournisseurs - sont fortement centralisés. 

Toute la corporate identity et la corporate communication sont décidées au siège à Stockholm. Le concept commercial affirme : « Fashion and quality at the best price ». Une gentille demoiselle du service de presse à Bruxelles : « Nous travaillons très fortement au niveau international. C'est pour cela que nous avons de tels prix. 90 à 95 pour cent de la collection est identique dans tous les magasins. » Toutefois, les maisons diffèrent légèrement selon la surface disponible. Si, au Luxembourg par exemple, le magasin au centre Rosenstiel, le plus grand, offre la gamme complète des marques - femmes, hommes, enfants, jeunes, Big, sports, future maman... - les autres ont été obligés de faire un choix par manque de place. 

En général, H[&]M cherche à ratisser le plus large possible, à toucher le maximum de classes de consommateurs différentes, d'habiller les employées et les fonctionnaires, les chauffeurs-livreurs et les secrétaires, les serveurs et les coiffeuses, les ouvriers et les profs. Néanmoins, la publicité, la communication, l'agencement et l'organisation des magasins font tout pour vendre en même temps un certain life-style, l'image d'un cosmopolitisme politically correct, mondialisé et homogénéisé, mais très branché. Ainsi les stéréos des magasins ne diffusent pas de la soupe, mais de la musique trip-hop et trance toujours easy listening, d'énormes bâches portent des photos en noir et blanc de jeunes femmes et jeunes hommes, beaux et en bonne santé. 

En même temps, le groupe engage chaque année une vedette du cinéma ou autres arts et spectacles défendant l'image du groupe dans les campagnes mondiales. Cette année, il s'agit de l'acteur culte du cinéma indépendant américain Steve Buscemi, l'homme aux yeux éclatés qui a joué dans les films des frères Coen (Fargo, The Big Lebowsky, Miller's Crossing, The Hudsucker Proxy), avec Jim Jarmusch (Mystery Train) ou encore Quentin Tarantino (Reservoir Dogs, Pulp Fiction). Les années précédentes, il s'agissait de vedettes comme Gary Altman, Geena Davies, Tyra Banks ou encore Isabella Rossellini. 

Et le design des fringues ? Des copies ou des dessins originaux ? La gentille demoiselle de Bruxelles : «  Nous avons nos propres stylistes, une trentaine de personnes qui dessinent les modèles. Leur inspiration, ils la puisent dans des domaines aussi différents que la musique, le cinéma et la culture en général, mais aussi le street wear dans les rues des grandes villes, ils voyagent beaucoup. D'ailleurs Margareta van den Bosch, notre styliste en chef, dit qu'en ce moment, le Japon est une importante source d'inspiration pour eux. »

Si les prix bas imbattables restent l'argument de vente essentiel - « la raison ? notre façon de travailler en international, de pouvoir acheter de très grandes quantités, de garder toute la chaîne, y compris de distribution, entre nos mains, d'éviter de travailler avec des intermédiaires, d'avoir des spécialistes qui ne font que chercher les meilleures offres sur chaque marché » - Hennes [&] Mauritz cultive aussi un certain esprit d'entreprise très p.c. Un peu comme Ikea. Ainsi, le commerçant textile a élaboré un code de conduite auquel tous les fournisseurs doivent se rallier et s'y tenir sous peine de perdre la commande. Ce code contient des normes minimales de droit du travail - contre le travail des enfants, pour des conditions sociales minimales comme l'hygiène du lieu, pauses imposées, heures supplémentaires sur base volontaire et contre dédommagement approprié, protection des travailleuses enceintes, droit au congé de maternité, repas offerts dans les pays les plus pauvres - qui, si elles sont respectées, représentent un important acquis social pour les travailleurs des usines concernées. Car celles-là se trouvent majoritairement en Asie, avec des conditions de travail souvent catastrophiques. 

Dans un univers idéal, on serait déjà presque amené à croire que la mondialisation peut donc aussi avoir du bon. Même si on sait aussi que les global players doivent défendre leurs parts de marchés avec tous les moyens. Au Luxembourg, on parle déjà de l'ouverture prochaine d'une succursale du groupe espagnol Zara, qui vient grignoter le marché de H[&]M à partir du sud. 

 

josée hansen
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