Magasins d'articles de sport

Plus haut, plus vite, plus loin

d'Lëtzebuerger Land du 07.11.2002

Des magasins de sport, il y en a de toutes les sortes. Les adresses traditionnelles au centre-ville, les grandes surfaces en zone commerciale, ceux qui ressemblent plutôt à une boutique de mode et puis il y a ceux qui ont une certaine force d'intimidation. « Les premiers mots des nouveaux clients sont souvent : 'Je ne suis pas un professionnel', » raconte Arno Kuster de Peters Sport à Kockelscheuer. Spécialisé sur la course à pied, le magasin compte notamment des vedettes comme David Fiegen parmi ses clients.

Des magasins d'articles de sport, il y en a surtout beaucoup et d'ailleurs de plus en plus. Il y a sept ans, le Statec comptait 74 « commerces de détail d'articles de sport et de camping ». En 2001, ils étaient déjà 91, sans compter les quatorze spécialistes de bicyclettes ou les hypermarchés ayant un rayon sport. Leur chiffre d'affaires s'élevait en 2000 à 40,7 millions d'euros, une hausse de 30 pour cent en 5 ans. Ils occupaient 283 personnes. Depuis, leur nombre devrait encore avoir augmenté. Ces derniers mois, Asport d'Ingeldorf a ouvert un second site dans le Sud, à Wickrange. Sport Plus, déjà présent dans le centre commercial de Kirchberg, a ouvert boutique à Beggen et au Pommerloch. À Bertrange, dans la zone commerciale, des investisseurs luxembourgeois se sont lancés sur le marché en s'alliant à la centrale d'achats Intersport, dont le magasin a adopté la marque.

Le marché des articles de sport commence donc à être un peu serré. Mais, pour l'instant, personne ne veut se plaindre. Marc Galli, le directeur d'Intersport, se dit ainsi satisfait des résultats enregistrés depuis l'ouverture en mars. « Notre challenge est de changer les habitudes du consommateur pour qu'il se déplace dans notre magasin, » explique-t-il. Marc Haentges d'Asport se dit lui aussi confiant. Certes, de Wickrange on est en quelques minutes dans d'autres magasins ­ ce qui est moins le cas à Ingeldorf. « Mais dans le Nord nous avons 20 000 clients potentiels alors que dans le Sud il y en a 200 000, » rappelle l'ancien joueur de basket. Pour Jean Rock de Sport Plus, il est encore trop tôt pour tirer un bilan sur ses nouveaux sites : « Nous sommes en train d'adapter nos produits à la clientèle, pour voir quelle offre marche le mieux selon le magasin. » Un bilan ne serait possible qu'après 18 mois de fonctionnement.

Il demeure que la plupart des acteurs se montre plutôt sceptique sur les chances de survie de l'ensemble de leurs confrères. D'autant plus que dans les planifications des uns et des autres, on n'avait pas toujours prévu que les concurrents préparent aussi de nouveaux projets. Chez Citabel Sport, qui estime faire le plus important chiffre d'affaires du secteur, on est venu à la conclusion que le marché luxembourgeois connaît un « Verdrängungswettbewerb ». « Tout le monde pense qu'il est possible de gagner beaucoup d'argent dans les articles de sport, explique le directeur Rolf Auchter, mais ils oublient que c'est beaucoup de travail. » Citabel fête cette année le cinquième anniversaire de son nouveau site de 4 000 mètres carrés à Leudelange.

Marc Haentges est lui aussi catégorique : « Il n'y a pas assez de place pour tous, il y a trop de magasins. Je m'attends d'ailleurs à ce qu'il y en ait encore qui vont ouvrir ­ les grandes chaînes, notamment ­, alors que d'autres disparaîtront. Pour nous, à Wickrange, il s'agissait aussi de se constituer une base de clientèle tant que c'est encore possible. » Rolf Auchter doute par contre que les géants du secteur pousseront bientôt la porte du Grand-Duché : « Ils savent très bien pourquoi ils ne sont pas à Luxembourg. Le marché est déjà bien réparti. Ils sont conscients qu'il ne suffit pas simplement d'ouvrir un magasin et d'exposer sa marchandise pour être profitable. Dans la Grande Région et avec l'euro, Decathlon peut très bien couvrir le Luxembourg à partir de Thionville. » Les seules chaînes présentes au Luxembourg pour l'instant sont l'américain Footlocker, le belge A.S. Adventure à Howald (orienté plutôt randonnées et sportswear) ainsi que Disport à Walferdange. Ce groupe est une filiale du holding belge GIB et de l'anglais Sports-Soccer. Au Luxembourg, c'est un des rares grands magasin ­ avec Intersport ­ à disposer d'un rayon bicyclette. Ses concurrents l'assimilent volontiers à un discount.

Pour survivre dans ce secteur très compétitif, mieux vaut donc avoir une stratégie qui tienne la route et mettre les moyens pour la réaliser. Des moyens qui sont d'ailleurs loin d'être toujours financiers. « Un élément clé reste que le patron doit lui-même être présent au magasin, » estime Marc Haentges. Puis il y a la gamme de produits. Souvent assimilés au marché belge, les magasins luxembourgeois préfèrent en fait s'approvisionner en Allemagne, peu importe l'effort. Quand on voit, des mois après la coupe du monde de foot, toujours des tricots de l'équipe nationale belge chez Disport, on sait pourquoi. Asport a même ouvert une filiale en Allemagne dont le rôle principal est de garantir la livraison des magasins au Grand-Duché. La société collabore, comme notamment Freelanders (Belle Etoile et Mersch) et Sport Plus, avec la centrale d'achat Sport 2000. Citabel travaille avec l'autre grande centrale d'achat, Intersport, même si la plupart des commandes se font directement chez les équipementiers. Au niveau des prix, le passage par une telle centrale serait d'ailleurs pas nécessairement plus avantageux.

Les gammes de produits sont loin de se limiter aujourd'hui aux articles de sport au sens strict. Asport a certes toujours d'importants rayons sports, mais les autres textiles occupent au moins autant de place. Chez Sport Plus à Beggen, Jean Rock a introduit des jeans dans l'assortiment. Chez Citabel aussi, le sportswear pas directement lié à un sport déterminé est fortement présent dans les rayons. 

À Kockelscheuer, on a préféré le choix contraire. Peters Sport est ainsi un magasin hyper-spécialisé. Pas question d'y trouver des chaussures de trekking, des raquettes de tennis ou des t-shirts Esprit. Si, par contre, il s'agit de course à pied ou d'athlétisme en général, on est à la bonne adresse. « Nous n'avons pas de véritable concurrent, explique Arno Kuster, un des associés. Il y en a même qui nous envoient des clients, par exemple quand des coureurs ont des problèmes de genoux. Ce n'est pas un apprenti qui sait reconnaître une pronation excessive des pieds » L'ancien coureur de 400 mètres, dont les études ont également tourné autour du sport, sait d'expérience qu'on ne trouve pas par une simple annonce un vendeur vraiment spécialisé. Les magasins spécialisés à l'image de Peters Sport constituent plutôt l'exception, même si on en trouve notamment dans les « fun sports », le golf, le tennis de table ou encore dans l'équitation. Il reste qu'il y a bon nombre de consommateurs, surtout ceux qui pratiquent un sport de manière plus poussée, qui estiment souvent avoir du mal à trouver chaussure à leur pied.

Une tendance lourde sur le marché luxembourgeois est la multiplication des sites de vente. Campo Sport compte trois magasin, Sport Plus quatre, Asport deux, de même que Freelanders, par exemple. Même Peters Sport a ouvert un deuxième site ­ à Trèves. Il n'y avait pas encore de magasin spécialisé du genre. Ces PME luxembourgeoises représentent donc un certain poids face à leurs fournisseurs. Mais il ne faut pas oublier que Deloitte [&] Touche, dans son étude sur le commerce luxembourgeois en 1998, avait dû constater que bon nombre de magasins multi-sites avaient encore plus de problèmes de rentabilité que leurs concurrents plus petits. 

Sur l'emplacement d'un magasin de sport, les philosophies varient. La dernière tendance donne l'avantage à des magasins d'une certaine taille en zone commerciale avec parking devant la porte. « Nous préférons être propriétaires d'un immeuble en zone commerciale, plutôt que de payer des loyers élevés, » explique Marc Haentges d'Asport. Chez Sport Plus, le choix est diamétralement opposé. « Nous misons sur des sites de qualité au sein de centres commerciaux, raconte Jean Rock, où nous sommes assurés d'un certain passage de la clientèle. » 

Outre la vente en magasin existe d'ailleurs encore le marché des clubs, qui achètent leurs tricots et survêtements en gros. Marc Haentges estime ce marché, fait de bons contacts, réductions pour volumes importants et relations de confiance, à quinze voire vingt pour cent du total.

Avec la multiplication de magasins, la concurrence fait donc rage. Le consommateurs ne peut que s'en féliciter. La pression sur les prix resterait pour l'instant cependant limitée, à croire les concernés. Les promotions et autres événements supposés attirer les clients se multiplient par contre. Or, même les géants du secteur, genre Decathlon et Go Sport, sont surtout compétitifs sur leurs marques propres. Le consommateur doit ainsi constater que pour un même produit de marque de la gamme actuelle d'un équipementier, la marge de manœuvre semble surtout exister vers le haut.

 

Jean-Lou Siweck
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