Cinéma

Fléau et nécessité

d'Lëtzebuerger Land vom 12.08.2016

Maxwell Perkins est l’un des hommes les plus reconnus de sa profession. On est en 1929 et l’éditeur new-yorkais de la maison Scribner & Son’s vient de faire découvrir à ses lecteurs deux des plus grands auteurs anglophones: F. Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway. L’homme, avenant et discret, a toujours le bon mot pour canaliser le flux d’écriture et les états d’âmes de ses auteurs. Mais lorsqu’un nouveau manuscrit de 500 pages atterrit sur son bureau, un défi d’une autre ampleur s’annonce. Dès les premières lignes, il est conquis par la qualité exceptionnelle du texte entre ses mains. Sa surprise est encore plus grande lorsque l’auteur, l’excentrique Thomas Wolfe, débarque comme un ouragan dans son bureau. Malgré leurs tempéraments diamétralement opposés, les deux hommes noueront rapidement une amitié profonde qui sera également très bénéfique à leurs carrières respectives. Or, leur travail obsessionnel sur les milliers de pages fournies par le génie fraîchement découvert met également en danger leurs vies privées.

Genius, adapté du livre Max Perkins, Editor of Genius (1978), par Scott Berg, s’intéresse avec beaucoup de sensibilité et d’amour au détail à cette relation passionnelle, transposable dans tous les domaines de la création. Le décalage de l’artiste, à la fois fléau et nécessité de son œuvre, et l’implication personnelle de son éditeur (producteur, galeriste, manager), tiré de sa zone de confort afin de rencontrer son protégé à mi-chemin, est rendu palpable avec des dialogues pointus et un jeu d’acteurs sans faille. Les personnages de Perkins et Wolfe offrent à Colin Firth et Jude Law une profondeur qu’ils sont loin d’avoir trouvée dans tous leurs rôles choisis jusque-là. Le premier reste dans une retenue subtile pour mettre encore plus en évidence le côté envahissant et égocentrique de l’autre. Laura Linney et Nicole Kidman impressionnent dans leurs incarnations respectives des compagnes délaissées et dont les ambitions sont enterrées sous le chauvinisme typique de l’époque.

Michael Grandage, notamment connu en tant que metteur en scène à Londres, signe ici son premier long-métrage. Inspiré de la saga des Parrains pour la lumière et les couleurs, selon ses propres dires, le film réussit en effet à trouver cette sous-exposition et ces teintes recherchées. Or, les cadrages et les mouvements de caméra manquent d’inspiration et se contentent du simple rôle de témoin, alors que la folie de Thomas Wolfe ouvrait la voie à plus d’audace visuelle. Le dramaturge et scénariste John Logan (The Aviator, 2004 ; Gladiator 2000) avec lequel Grandage avait déjà collaboré plusieurs fois au théâtre par le passé, aurait travaillé pas moins de neuf ans sur le scénario de Genius. qui convainc finalement plus par le détail de son observation que par sa structure. En tant que fenêtre sur l’histoire de la littérature et le processus de création tout court, le rendez-vous reste pourtant incontournable.

Fränk Grotz
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