Protection des données

Larcins, vigiles & vidéo

d'Lëtzebuerger Land vom 31.05.2007

Le centre commercial Auchan au Kirchberg ne pourra pas installer (officiellement) de caméras de surveillance dans ses salles d’interpellation. À moins d’une volte face.

Le tribunal administratif a validé la semaine dernière le refus de la Commission nationale pour la protection des données (CNPD) d’autoriser la chaîne de grande distribution de mettre en place un système de vidéo-surveillance dans les deux salles où les personnes soupçonnées de vols à l’étalage sont parquées pour vider leurs poches devant les agents de sécurité maison avant d’être éventuellement remises aux forces de polices. Une fois leur larçinavéré. L’installation de caméras serait disproportionnée par rapportà d’autres moyens moins invasifs pour la vie privée, a tranché la juridiction administrative en rejoignant ainsi les positions de la CNPD. Ce à quoi Auchan, adepte des prix écrasés, rétorque avec l’arme économique en invoquant des impératifs de coûts : un déploiement de personnel supplémentaire coûte cher alors que deux petites caméras disposées dans les salles d’interpellation et diffusant en direct les images au PC de sécurité de la galerie marchande, sans enregistrement, de personnes interpellées par les vigiles, ne mangeraient pas de pain.

Les juges administratifs ont clairement privilégié, dans leur décisiondu 21 mai, la protection de la vie privée à l’argumentation économique. Aucune réaction du commerce n’est encore intervenue après ce jugement.

En juillet 2003, soit sept ans après son ouverture officielle, Auchan introduit une demande au président de la CNPD pour une autorisation préalable à un traitement aux fins de surveillancevidéo « de son personnel et de ses biens », dans un souci de protection des clients et visiteurs de la galerie marchande du Kirchberg. Cela dit, Auchan n’avait pas attendu le feu vert des autorités pour doter certains de ses locaux de mouchards, au grand damd’ailleurs des syndicats qui y virent une intrusion inacceptable sur les lieux de travail. Réponse à réaction tardive de la CNPD près de trois ans plus tard, en février 2006 : elle donne son accord conditionnel à l’installation de caméras. 

Les conditions étant que le champ de vision des caméras ne doitpas être dirigé vers l’intérieur des toilettes, douches et vestiaires, zones de repos des salariés et cabines d’essayage ou zones de bureaux (direction et salle de formation). Bémols toutefois à ce strip-tease sous-vidéo : pas de caméras dans les locaux appeléssalles d’interpellation, visages floués des salariés dans le champ devision des caméras tournant en continu (aux caisses notamment), images sans enregistrement sonore, information préalable des salariés et des clients filmés, obligation de traitement « loyal » des données.La direction d’Auchan opine à ces exigences sauf pour les salles d’interpellation. 

Le dossier revient alors devant la Commission. Aucune loin’autoriserait unsupermarché à procéder à un interrogatoire filmé, etencore moins enregistré, des présumés voleurs à l’étalage, lui rappelle la CNPD pour justifier son refus. La chaîne de grande distribution insiste, argumentant que le recours à la vidéosurveillance s’avère nécessaire aux agents de sécurité. Les caméras auraient un effet dissuasif sur le comportement des personnes interpellées.Inversement, avance encore les dirigeants, la vidéo constituerait unegarantie pour ces gens contre l’arbitraire de vigiles à la dégaine parfois facile.

« Le responsable du traitement doit démontrer que, pour parvenir à ses fins, un traitement sans vidéosurveillance n’est pas efficace », lui répond du tac au tac la CNPD en suggérant notamment aux responsables ducentre commercial d’équiper soit les agents de sécurité de talkie-walkie pour communiquer avec d’autres gros bras en cas de grabuge, soit de doter les salles d’interpellation de systèmes d’alerte en cas d’agression par les auteurs de flagrants délits de vols (500 cas en 2005 et 400 au cours des neuf premiers mois de 2006). La commission de protection des données aurait, selon Auchan, perdu de vue les préalables posés par le Conseil de l’Europe, gardien des droits de l’Homme et de sa dignité, selon lesquels les mesures de substitution de la vidéosurveillance ne peuvent s’imposer que si elles n’entraînent pas de coûts disproportionnés.

Auchan n’aurait toutefois pas été en mesure de dire en quoi les coûtsd’une alternative aux caméras le seraient. « En l’absence de développements concrets de nature à établir un caractère avéré du risquemis en avant par la partie demanderesse, le souci de sécurité des usagers ne saurait être retenu comme étant suffisamment établi pour justifier le traitement envisagé. Les notions de sécurité desusagers ainsi que la prévention des accidents ne sauraient en effet être interprétés dans le sens d’englober des mesures préventives de nature à faciliter la recherche et la détection d’actes susceptibles d’engager la responsabilité pénale de la personne interpelléeou le cas échéant de l’agent de sécurité, voire de prouver l’absencede responsabilité afférentemoyennant aménagement d’un moyen depreuve supplémentaire », ont tranché les juges administratifs. 

Véronique Poujol
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