Festival

Les pépites de Fabula Rasa

d'Lëtzebuerger Land vom 31.01.2020

Jusqu’au 2 février, les Rotondes vivent au rythme du festival Fabula Rasa, tradition bien ancrée et toujours pleine de surprises. L’édition 2020 ne déroge pas à la règle et se déploie à travers cinq spectacles dont Dimanche (vu les 24 et 25 janvier), un labo et la chouette expo AB – Augmented Books qui met à l’honneur les livres jeunesse. Autant d’opus qui lient réel et virtuel, techniques d’hier et d’aujourd’hui, jeux d’optique et réalité augmentée. Bénéficiant d’une belle mise en espace dans la Rotonde 1, cette expo aux multiples ramifications ravit petits et grands, souvent bluffés. Livres animés, papiers découpés, pages en relief, images cachées, mondes invisibles incitent à s’évader au pays de l’enfance et nous emportent dans de nouvelles narrations où ludisme, onirisme, magie et poésie sont au rendez-vous. Au fil de cette promenade dans les mots et les images qui est aussi invitation à toucher, dessiner, manipuler, expérimenter, tantôt muni d’une loupe magique, tantôt d’une tablette, le visiteur, parcourant villes, paysages et océans, croisant personnages et robots, découvre sept beaux projets d’une dizaine de créateurs (auteurs, illustrateurs, designers…) et de collectifs d’artistes comme Maison Tangible & Errratum avec leurs drôles de Piafs ! Illustrations originales, maquettes, livres-objets et pop-up faits main se suivent sans se ressembler. Sur une table, on se familiarise avec l’ombro-cinéma pour animer le sympathique New York en Pyjamarama de Frédérique Bertrand, Michaël Leblond et Frédéric Rey, sur une autre on tourne les pages vivantes du livre en réalité augmentée Le Monde des Montagnes de Camille Scherrer qui y partage des souvenirs d’enfance.

Fabula Rasa c’est aussi et surtout des spectacles. On a ainsi eu la chance de découvrir le magnifique Dimanche des Compagnies belges Chaliwaté (Sicaire Durieux et Sandrine Heyraud récompensés en 2018 du Prix SACD Théâtre gestuel) et Focus (Julie Tenret), qui partagent une même envie de théâtre pluriel et insolite et avaient déjà travaillé ensemble sur Backup, forme courte préfigurant ce Dimanche créé en novembre 2019. Les trois artistes multidisciplinaires ont écrit, mis en scène et jouent dans ce spectacle d’une grande intelligence et de toute beauté, qui fait se rencontrer théâtre gestuel, théâtre d’objets, marionnettes, jeu d’acteurs et vidéo. Sans paroles, Dimanche dit tout et bien plus encore. Il en va d’un sujet d’une brûlante actualité, l’urgence climatique, et d’une effroyable vision, le naufrage du monde. À travers un récit qui emprunte tant au conte qu’à l’anticipation, mêlant réel (images vidéo de paysages et sons de la nature) et fiction, les artistes portent un regard lucide sur notre planète à la dérive en figurant une humanité totalement dépassée par les événements.

Dimanche met en scène deux histoires parallèles qui alternent leurs chapitres avant de se rejoindre. La fin du monde est proche. Les catastrophes s’intensifient aux quatre coins de la planète : fonte des glaciers, cyclones, séismes, tempêtes de sable, tsunamis… Personne n’est à l’abri. Trois reporters embarquent à bord d’un camion pour une grande traversée (des pôles aux tropiques, des espaces désertiques aux rivages océaniques), qui devrait leur permettre de documenter la vie des dernières espèces. Mais la réalité les rattrape… L’on apprend la mort tragique d’un premier reporter à travers le petit écran installé dans un foyer à l’autre bout du monde. C’est dimanche, la petite famille suffoque mais s’apprête à passer une journée ordinaire. Sauf que, dans la maison, tout commence à se dérègler, à vaciller, à chavirer…

Sur un sujet aussi grave que le changement climatique, Dimanche réussit à nous émerveiller en nous racontant une histoire drôle, sensible, absurde, fantastique et poétique. Sur scène, où tout semble naître et se défaire si naturellement, le visuel et le sonore tissent leurs fils, le très grand le dispute au tout petit et le spectaculaire surgit des petites choses du quotidien. Dimanche fourmille de trouvailles ingénieuses qui font qu’une table devient banquise ou camion et qu’elle peut se plier en un clin d’œil. Belle performance des trois artistes qui jouent, miment, manipulent des marionnettes grandeur nature (une grand-mère, un ours blanc, un flamand rose), manient des maquettes de toutes tailles… pour nous emporter dans un monde aux mille et une dimensions et dans un tourbillon d’émotions. Dimanche, une pépite pleine de poésie. Un vrai bonheur ! Ne ratez pas ce week-end les dernières histoires de Fabula Rasa...

À découvrir l’expo AB – Augmented Books (entrée libre, vendredi et samedi de 15 à 19 heures, dimanche de midi à 18 heures) et Library of sounds & noises (à partir de six ans), performance théâtrale et sonore de José Antonio Portillo et Enric Monfort, le 31 janvier à 19 heures, le 1er février à 11 et 19 heures et le 2 février à 11 et 18 heures. Toutes les infos sur rotondes.lu

Karine Sitarz
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