Sitcom politique à Esch

Je t'aime moi non plus

d'Lëtzebuerger Land vom 28.10.1999

Cela s'est passé à Esch-sur-Alzette. Pour cinq mille francs par mois, somme que le candidat tête de liste du Parti chrétien social (PCS) Ady Jung déclare avoir payé de sa poche, le conseiller municipal PCS Jean Mischo aurait, pendant des années, accepté le sort lui réservé par son parti et aurait fait le deuil de ses réelles ambitions politiques. Ady Jung déclare avoir versé cet obole mensuel dans le but de « préserver la paix au sein du PCS à Esch ». Il importait d'amadouer l'élu Mischo que le parti ne voulait jamais faire échevin, et ce malgré ses bons scores personnels aux élections.

Cet épisode du sitcom politique qui se déroule actuellement à Esch-sur-Alzette peut être perçu comme une illustration plutôt amusante de l'esprit de commerçant d'Ady Jung, qui fut longtemps président de l'Union des commerçants de la métropole du fer. Mais il donne aussi une piètre image de la conception politique des acteurs engagés : un homme politique achète, dans tous les sens du terme, la complaisance d'un autre camarade de parti qui accepte le marché. Cette fois-ci, Mischo ne voulait plus marcher dans la combine. Bien qu'il eût signé une déclaration de loyauté (le PCS semble donc avoir pressenti les revendications de Mischo) dans laquelle il déclare accepter toutes les décisions du parti, Mischo revendiquait un poste d'échevin. Ne voulant plus se laisser consoler avec la présidence de quelques syndicats intercommunaux, il a préféré donner sa démission en tant que membre du PCS. Mais il garde toutefois son mandat qu'il compte honorer en tant qu'indépendant. Mischo a de la sorte fait perdre, a posteriori, à son parti des élections pourtant gagnées à la sortie des urnes : le PCS possède désormais un siège de moins que les socialistes au conseil communal d'Esch-sur-Alzette.

Pour Ady Jung, un monde s'est ainsi écroulé. Se lançant dans la campagne électorale sous le cri de guerre « Bourgmestre ou rien », il croyait avoir partie gagnée en arrivant en tête des suffrages le 10 octobre dernier. La désertion de Mischo risque de faire de lui le grand perdant politique, d'où la colère de l'aspirant bourgmestre qui ne s'est pas laissé prier pour traiter Mischo de « dernier des cadavres » et, pire peut-être entre camarades d'un parti chrétien, de « Judas ».

Les socialistes ont jusque là fait des pieds et des mains pour ne pas devoir se rendre à l'évidence qu'ils ont bel et bien perdu leur historique primauté politique à Esch-sur-Alzette. Ils dégustent maintenant la nouvelle situation à la petite cuillère. Le POSL avait, avant les élections, connu les mêmes déboires que maintenant le PCS. L'échevin socialiste Henri Grober avait annoncé, de façon fracassante, qu'il allait tourner le dos à la politique à la fin de la législature communale en cours. Grober reproche au maire sortant, François Schaack, de ne pas avoir respecté sa promesse de lui laisser son poste de bourgmestre avant les élections. La crise qui s'en suivit au sein du parti est certainement une des explications pourquoi le POSL a perdu, le 10 octobre, plus de 5,1 pour cent par rapport aux élections de 1993. Un recul qui lui a fait perdre un siège de conseiller. Le PCS, lui aussi en perte de vitesse (moins 3,2 pour cent par rapport à 1993), se retrouvait ainsi avec le même nombre de sièges (six) que le POSL. Mais la liste du PCS a devancé celle du POSL de 0,4 pour cent et Jung a fait quelques 500 voix de plus que Schaack.

Le choc, pour les socialistes, de perdre Esch était de taille. Pour refouler l'évidence et devant l'attitude quelque peu triomphaliste de Jung, qui par médias interposés proposait aux socialistes le rôle de Junior-Partner dans la prochaine coalition, le POSL décida de snober les chrétiens-sociaux et d'entamer des négociations avec le PDL et La Gauche. Or, cette combinaison serait trop risquée. Elle se baserait sur une seule voix de majorité au conseil communal et donnerait ainsi trop de poids et d'importance à chaque conseiller individuel des partis impliqués. De surcroît, le premier élu de la liste du PDL ne cesse de répéter que la meilleure solution pour Esch serait une coalition entre les socialistes et les chrétiens-sociaux. Partant de là, l'antagonisme entre le PDL et Déi Lénk, mais aussi le principe de rotation appliqué par La Gauche en feraient une majorité trop vulnérable. Jung, ainsi que François Maroldt, président de la section locale du PCS, dauphin désigné de Jung et qui ­ au grand dam de Mischo ­ allait garder son poste d'échevin, décidaient d'attendre que les socialistes aient digéré leur échec et rentrent dans le rang. 

Avec la démission de Mischo, la situation n'est pas pour autant devenue plus claire, à part que le POSL y est redevenu le premier parti et n'a plus besoin de refouler la sentence électorale. La présidente de section, la députée Lydia Mutsch, avait d'ailleurs quelque peine à cacher sa joie lors de son passage à RTL Télé Lëtzebuerg où elle savourait ostensiblement sa « vocation » à devenir le prochain bourgmestre d'Esch. Reste à savoir avec qui ! Jung, à moins que le parti ne l'arraisonne en mettant en jeu sa présence sur la liste PCS lors du prochain scrutin législatif, ne sera pas d'une coalition avec le POSL qui « a acheté Mischo ». Il est d'ailleurs peu probable que Mischo intègre les rangs du POSL, comme le prétend Jung, où qu'il fasse partie d'une prochaine coalition. Celle-ci ne pourra en effet se faire qu'à deux (PCS sans Jung), à trois (PDL et La Gauche) ou à quatre (PDL, Vert, Mischo). En ce qui concerne les deux dernières hypothèses, les postes d'échevins sont trop rares pour que tout un chacun puisse être servi, à moins que le « splitting » ne mette tout le monde d'accord. Ce qui ne résoudra toutefois pas le problème de la distribution des postes au sein des partis, en particulier chez les socialistes. D'autant plus que Schaack, par le biais d'un entretien accordé au Républicain lorrain a repris goût à la chose et semble à nouveau avoir des vues sur le poste de bourgmestre.

La situation à Esch est une illustration caricaturale d'une certaine façon de pratiquer la politique. Décrocher le pouvoir est certes une finalité politique essentielle. Mais les chemins qui mènent à l'accession au trône deviennent trop souvent sinueux, surtout lorsque le scrutin démocratique a résulté d'une situation où l'équidistance entre les partis donne libre cours aux interprétations sur « la volonté exprimée par l'électeur ».

La volonté de l'électeur, si elle n'est pas utilisée pour fustiger l'adversaire politique qui l'aurait détournée pour accéder au pouvoir, est donc la légitimation pour exercer le pouvoir politique ­ à tout prix. Car, en finalité, la place à la tête de la commune est tellement importante qu'elle justifie toutes les aberrations. À Schifflange par exemple, ni le PCS ni le POSL ne voulant céder d'un seul pouce, les deux partis se sont mis d'accord pour « partager » le poste du bourgmestre !

Dans ce petit jeu politicien, il ressort d'ailleurs que c'est le PCS qui se distingue le plus. Après la probable perte d'Esch-sur-Alzette, la seule véritable victoire des chrétiens-sociaux lors du dernier scrutin communal se situe à Pétange. Sinon, le tableau du PCS est sombre.

Acculé, dans nombre de communes, à cause des pertes en voix et en sièges, le PCS cherchait ainsi un moyen de pression pour retrouver une position dominante dans les négociations de coalition en cours. Certains cas avaient bel et bien été réglés auparavant. À Kopstal, l'accord entre la liste apparentée socialiste et le PCS était délaissé au profit d'une coalition identique à celle gouvernementale. Un cas de figure qui s'est aussi appliqué aux communes de Kayl, où le POSL avait obtenu quarante pour cent des suffrages et remporté un siège supplémentaire, et à Niederanven. Des interventions au niveau local par des ministres n'auraient pas été étrangères à ces décisions. La politique national prime sur la politique communale, ce qui se voit aussi à Luxembourg-Ville.

Mais ailleurs, la situation était plus embourbée. Agacée par l'attitude du POSL, notamment à Esch et à Schifflange, où la maire PCS sortante Nelly Stein a réalisé le meilleur score personnel mais où son parti vient derrière le POSL, la présidente du PCS abattait son joker en donnant sa bénédiction à des collaborations locales avec l'ADR. Une ouverture dangereuse qui illustre bien l'état du parti pour lequel, dans presque tous les cas de figure, la fin justifie les moyens. Ce qui vaut d'ailleurs pour presque toutes les communes et tous les partis.

 

marc gerges
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