Marcel Meesters

He makes books

d'Lëtzebuerger Land du 19.08.2016

À l’entrée de l’espace de bureau / appartement aménagé dans la grange de cette belle ferme historique rue Edward Steichen à Bivange : plusieurs feuilles grand format avec des tests d’impression d’un nouveau livre sur les Rolling Stones. « Peut-être c’est mieux de ne pas les photographier », remarque Marcel Meesters après un moment de réflexion. Ce sont ces instants où, mécaniquement, il enlève ses lunettes à monture noire pour jouer avec. Grand, blond, svelte, la cinquantaine, il a ce si charmant accent néerlandais en allemand qui rappelle irrémédiablement Rudi Carrell (Am laufenden Band). L’endroit est rangé, les livres à portée de main dans des étagères structurées. Des livres parfois encore sous cellophane, parce que ce sont ces livres que Marcel Meesters produit depuis six ans à Bivange, où il a jadis atterri par amour. Des livres d’art pour des stars mondiales, Damien Hirst, Gavyn Murphy, Antony Gormley, Martin Parr, Jake et Dinos Chapman, Josef Albers, Su Webster ou Simon Denny – la liste de ses clients est longue comme un bras. Et pourtant, personne ne le connaît au grand-duché. Il avait certes, à son arrivée, essayé de prendre contact avec les institutions culturelles luxembourgeoises, mais aucune n’a montré de grand intérêt. Alors il s’en est accomodé, ses clients sont à Londres, Dublin, New York.

Mais que fait vraiment Marcel Meesters et sa société MM Artbook printing & repro (rien à voir avec MM comme Maison moderne, la maison d’édition de Mike Koedinger) ? Définissons-le par la négative : il n’est pas graphiste, ne fait pas de mise en page, n’écrit pas les livres. Il en assure le processus de production, prend en charge toute la gestion du budget, le choix de l’imprimerie, du papier, du relieur, des meilleures techniques de reproduction ou de sérigraphie pour obtenir le résultat voulu par l’artiste. Ses clients sont les artistes eux-mêmes, leurs galeries ou institutions. « La partie la plus intéressante de mon métier est le contact avec les artistes », estime-t-il. Qu’aucune épreuve normée Iso ne peut jamais remplacer le regard de l’artiste sur son propre travail, qui sait exactement l’aspect qu’il veut obtenir. Marcel Meesters se souvient ainsi de l’artiste américain Tony Oursler, qui, pour la production de son catalogue The Archives of Rony Oursler, publié par la Luma Foundation, a pris un vol long courrier pour assister durant deux heures à l’impression du livre en Belgique, puis, satisfait, est reparti. « Pour les artistes, les beaux livres sont devenus un outil de promotion, avec lequel ils peuvent montrer leur travail, raconte Marcel Meesters. C’est le même phénomène que pour le vinyle sur un marché de la musique de plus en plus dématérialisée : ces objets deviennent cultes ». C’est pourquoi, malgré un secteur de l’impression en pleine crise, le marché du livre d’art se porte toujours bien. Même si les tirages peuvent être modestes, de 250 à 10 000 exemplaires, adaptés aux vœux du client.

Marcel Meesters a commencé sa carrière comme imprimeur, puis a enchaîné avec des études en higher marketing aux Pays-Bas, où il a surtout appris que la communication est la moitié d’un bon produit. Encore aujourd’hui, il se fait un point d’honneur de toujours être à côté des imprimeurs lorsqu’un livre est produit, dans des imprimeries offset situées en Allemagne ou en Belgique. D’ailleurs sa stratégie, c’est d’être présent, de se déplacer pour discuter avec ses clients, de chercher le contact direct. Ce qui explique ses nombreux déplacements, comme récemment pour l’ouverture des Rencontres d’Arles, où le photographe irlandais Eamonn Doyle montre ses incroyables séries d’images prises à Dublin. Des portraits de gens volés dans la rue, presque tous de dos, et qui montrent malgré cette distance la joie ou la pauvreté, le bonheur ou le désespoir. La série i ne montre que des vieillards courbant l’échine sous le poids de la vie, l’œuvre est impressionnant. Doyle, dont la carrière a véritablement été lancée par un texte élogieux de Martin Parr sur son travail, est un client régulier de Marcel Meesters, qui a suivi la plupart de ses livres, souvent complexes – comme ces impressions en noir sur papier argenté pour lesquelles il fallait trouver le bon procédé (impression en négatif). Parmi les projets difficiles, il y avait aussi ce livre de Damien Hirst, ses Complete Spot Paintings, 1986-2011, publié par Other Criteria et la Gagosian Gallery, qui fait 864 pages sur lesquelles chaque point coloré devait être détouré et reproduit dans la bonne couleur. Il se vend actuellement à 560 dollars la copie signée. Mais Hirst, « malgré sa mauvaise réputation de star, est très gentil, avenant et son studio très organisé », se souvient encore Marcel Meesters. Le budget du livre était de 300 000 euros que Meesters devait gérer et respecter ; il a deux employés qui l’assistent dans la gestion financière. Meesters estime aussi que la plus grande difficulté dans la production des livres est le transport, sur lequel il n’a que peu de prise : il y a eu des cas où le livreur devait décharger des livres à l’arrière d’une galerie parce que le vernissage avait déjà commencé...

Marcel Meesters a une grande tendresse pour ses livres. Même s’il en produit entre cinquante et soixante par an – soit un par semaine –, il les connaît par cœur. Avec une assurance aveugle, il sort de son étagère ce boîtier de protection teint à la main ou cet autre livre dont les feuilles ont été découpées à la scie circulaire (c’était un catalogue pour le sculpteur Emile van der Kruk, qui travaillait alors à la tronçonneuse). « En réalité, dit-il, ce sont les livres qui montrent le mieux ce que je sais faire ». L’anonymat à Bivange, dont il apprécie le fait d’être au centre de l’Europe, lui convient alors tout à fait.

josée hansen
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