Le Cercle Joseph Bech sur les communes

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d'Lëtzebuerger Land du 29.09.2005

«Le Cercle Joseph Bech n'est pas affilié à un parti politique. Ses membres déterminent librement les positions du Cercle par consensus,» écrivent-ils en page 105 du nouveau pamphlet qu'ils viennent de publier, Un État dans son siècle – Refonder le Luxembourg1. Pas affilié, mais le livre est néanmoins préfacé par Jacques Santer et postfacé par Jean Spautz; trois des émissaires les plus célèbres de ce club très fermé sont candidats CSV aux communales, Frank Engel et Patrick Santer à Luxembourg, Marc Rauchs à Bertrange. En plus, Frank Engel, le président du cercle, est aussi secrétaire du groupe parlementaire CSV et Marc Rauchs est assistant parlementaire de Jean Spautz, ancien ministre de l'Intérieur, ancien président de la Chambre des députés et actuel député européen à Strasbourg. Aucun des trois ne mentionne d'ailleurs dans son CV son appartenance à ce club qui se veut un organe de réflexion politique – l'éditorialiste du Wort Marc Glesener les gratifie même d'un flatteur «Querdenker», empêcheurs de tourner en rond (23.09.05). Le petit livre, sorti quelques jours seulement avant les élections communales, consacre toute une partie, la première, à la réforme des communes. Dans le chapitre «Plus de communes avec moins de communes: l'autonomie communale retrouvée», les ultra-libéraux du cercle s'indignent du «nanisme communal» pratiqué au Luxembourg, 118 communes avec une moyenne de 3922 habitants par commune – contre plus de 30000 en Suède et même 60000 en Lituanie. «Le Luxembourg semble vouloir se maintenir dans la logique de l'intercommunalité à l'ancienne et surenchérir dans la course à la création de béquilles pour un secteur communal boitillant avec près de 70 syndicats intercommunaux» (p. 21). Pour eux, une quarantaine de grandes communes suffirait amplement, des communes qui seraient créées grâce à des fusions légales, donc octroyées par l'État. Elles permettraient aux communes de mieux fonctionner car «c'est un prestataire de services publics de qualité que le citoyen recherche avant tout» (p. 24). Dans ces grandes communes, le poste de bourgmestre, qui deviendrait incompatible avec celui de député, serait professionnalisé et il deviendrait «le seul organe exécutif de la commune» et «l'élection directe du bourgmestre devrait être introduite». Et, les auteurs du Cercle Bech, d'ajouter que ce bourgmestre aux pouvoirs renforcés «contrebalancerait ainsi le pouvoir disproportionné et dépourvu de légitimité démocratique qui est de nos jours exercé de fait par les fonctionnaires communaux» (p. 33). Laurent Mosar, tête de liste du CSV dans la capitale, mène déjà aujourd'hui une campagne personnalisée comme s'il s'agit de présidentielles. Toujours selon le cercle, les élections communales n'auraient plus lieu tous les six, mais tous les cinq ans, en juin comme les législatives; les indemnités des bourgmestres professionnels seraient alignées sur celles des députés, et le mandat s'exercerait à plein temps. Tout cela pourrait être considéré comme des réflexions de quelques jeunes politiciens en mal de publicité, sans conséquences réelles, si on n'était pas en période préélectorale où les nerfs sont à vif. Déjà que les maires ne sont pas particulièrement amusés qu'on veuille abolir leur job en supprimant le poste, mais en plus, durant une interview radiophonique à RTL le 21 septembre, deux membres dudit cercle, Frank Engel et Patrick Santer, ont confirmé que deux hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur (dirigé par Jean-Marie Halsdorf, CSV) avaient collaboré à l'élaboration de leurs réflexions. La réaction du DP fut immédiate: «Der sichere Weg in den CSV-Staat?» s'interroge le parti libéral dans un communiqué envoyé le même jour, protestant contre ce qu'il considère être un conflit d'intérêts. En parallèle, Claude Meisch, le président du DP, interpelle les ministres de l'Intérieur et celui de la Fonction publique, Claude Wiseler (CSV), pour savoir si « l'impartialité des deux hauts fonctionnaires dans ce dossier est encore garantie? Dans la négative, quelles sont les conclusions que Messieurs les ministres entendent en tirer?» Pourtant, même si elles sont formulées de manière plus radicale et vont plus loin que les papiers du gouvernement, les idées du Cercle Joseph Bech sont loin d'être nouvelles. Dans l'accord de coalition d'août 2004, le gouvernement CSV-LSAP écrit formellement que «les fusions de communes seront encouragées et encadrées par le Gouvernement», que «la question de la professionnalisation de l'exécutif local sera étudiée» et que «dans ce cadre, le statut et le congé politique du collège des bourgmestre et échevins feront l'objet d'une révision». Il ne fait que répondre à des revendications de longue date des élus locaux regroupés dans le Syvicol. Jean-Marie Halsdorf a avancé le chiffre magique de 3000 habitants comme une masse critique nécessaire pour le fonctionnement d'une commune – qui doit, il est vrai, assurer de plus en plus de charges administratives et d'encadrement. Le ministre de l'Intérieur toutefois ne veut pas imposer ces fusions, mais propose, en alternative, la création de «communautés de communes», qui mèneraient, à moyen terme et tout naturellement, à de telles fusions. C'est ce qui est arrivé à Kautenbach et Wilwerwilz2 et à Bastendorf et Fouhren: dans les deux cas, les petites communes avaient collaboré sur base de syndicats intercommunaux et ont décidé d'institutionnaliser cette collaboration en fusionnant. Les fusions ont d'abord été avalisées par les électeurs locaux par voie de référendum, puis par voie législative au parlement. Les nouvelles entités communales entreront en vigueur le 1er janvier prochain, créant la nouvelle commune de Kiischpelt pour la première fusion, celle de Tandel pour la deuxième. Les électeurs des deux nouvelles communes vont donc désigner les premiers nouveaux conseils communaux ce 9 octobre. L'État participe à hauteur de 2 500 euros par habitant sur dix ans aux frais de ces fusions, argent destiné, entre autres, à la construction de nouveaux bâtiments administratifs centraux. Pour gérer cette aide financière, le Fonds pour la réforme communale, créé en 1972, sera réactivé et alimenté dans la loi budgétaire dès 2006. Les dernières fusions de communes remontaient à la fin des années 1970, époque à laquelle le ministre de l'Intérieur Jos Wohlfart (LSAP) avait déjà voulu réduire le nombre de communes à une quarantaine. Il n'avait réussi que de créer quatre nouvelles communes en 1977: celle du Lac de la Haute-Sûre (anciennement Harlange et Mecher), la nouvelle commune de Junglinster (absorbant celle de Rodenbourg), celle de Rambrouch (anciennement Arsdorf, Bigonville, Folschette et Perlé) et celle de Wincrange (fusion d'Asselborn, Boevange, Hachiville et Oberwampach). Ironie de l'histoire: c'était sous la coalition DP/LSAP de Gaston Thorn; à l'époque, ce grand projet de réaménagement communal avait été freiné par le CSV, alors dans l'opposition… Une enquête réalisée à la mi-juillet 2005 auprès de 1 057 Luxembourgeois de plus de 18 ans par l'institut de sondages Ilres a donné des résultats assez typiquement luxembourgeois : 69 pour cent des personnes interrogées jugent les fusions de communes comme étant une bonne chose, cette adhésion augmente avec le niveau d'études et avec l'âge. Mais si elles sont pour le grand principe abstrait, elles réagissent en parfait nimby, not in my backyard, si on parle de leur propre commune: 57 pour cent des personnes interrogées n'aimeraient pas que leur propre commune fusionne avec la commune voisine. Et les partis dans tout cela? Des communes fortes et autonomes constituent toujours un contrepoids à toute volonté centralisatrice du ministère de l'Intérieur. Le DP veut forcément garder le pouvoir exécutif dans un maximum de communes – le dernier qui lui reste. Le LSAP défend sa position de force dans les communes – et donc leur autonomie. Seul le CSV semble avoir un réel intérêt à cette réorganisation communale. Or, une approche exclusivement utilitariste – ne voir les conseils communaux et leurs administrations que comme une sorte de sociétés de services pour un résident plus client que citoyen – est aussi une déviance de la démocratie locale. Faire des maires des managers plutôt que des politiciens qui sauraient aussi faire des choix et avoir un sens pour des équilibres entre électeurs et non-électeurs dans une commune (voir le taux élevé d'exclusion aux urnes) ou agir contre la pauvreté et des prix des logements inaccessibles plutôt que de promettre un guichet unique et un city manager est une manie ultralibérale très à la mode. La carte du vote au référendum du 10 juillet prouve pourtant que même au niveau local, tout n'est pas encore apolitique.

1 Cercle Joseph Bech : Un État dans son siècle – Refonder le Luxembourg ; Éditions Codex, Bertrange, septembre 2005 ; 105 pages, 12 euros ; ISBN : 2-9599676-1-5

2 Au début de la procédure, au milieu des années 1990, la commune de Eschweiler faisait aussi partie du syndicat intercommunal, mais elle s'est retirée du projet de fusion par décision du conseil communal en 2002.

 

 

josée hansen
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