Rencontre avec Véronique Faber, la nouvelle présidente de la Radio 100,7, enthousiaste à l’idée de la remettre d’aplomb

De l’audace !

Véronique Faber, présidente du CA de Radio 100,7
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 14.02.2020

Frechdachs Sur sa photo de profil sur Twitter, elle pousse un cri comme une Fifi Brindacier qui refuse de grandir. À 52 ans, Véronique Faber a l’enthousiasme contagieux. Emballée de pouvoir diriger le conseil d’administration de l’Établissement public de radiodiffusion socioculturelle (ERSL), qui gère la radio de service public 100,7. « Je suis fan de la radio et je trouve son contenu passionnant ! », affirme-t-elle lors d’une entrevue pour ce portrait. Ça change de son prédécesseur Laurent Loschetter, président de septembre 2017 à novembre 2019, qui, lors d’une première interview à l’antenne, avait avoué, avec son habituelle nonchalance, qu’il n’écoutait pas la radio avant sa nomination. L’homme d’affaires (DSL, Den Atelier) avait braqué l’équipe de la radio en affichant trop ostensiblement sa proximité d’avec le Premier ministre et ministre des Médias Xavier Bettel (DP), se vantant des avantages qu’auraient ces « chemins courts », alors qu’une rédaction craint l’immixtion politique comme le diable l’eau bénite. En mai 2018, ces « chemins courts » vaudront la promesse d’une augmentation budgétaire substantielle à la radio, consignée dans une convention avec l’État, assurant de la prévisibilité jusqu’à 2023, quand la radio recevra 6,8 millions d’euros. Or, lorsque le directeur Jean-Paul Hoffmann part six mois plus tard suite à des désaccords fondamentaux avec son président, notamment sur les ressources humaines, et que la radio reste durant plus d’un an sans direction, la situation interne s’envenime et le nouveau directeur Marc Gerges, qui rejoint la radio en été 2019, est d’abord perçu comme un « Loschetter’s boy», un proche du président – et donc, par transitivité, de Bettel. De faux-pas en actions en solo, c’est la guérilla au Kirchberg, par médias interposés, jusqu’à ce que Loschetter lui-même démissionne sur le crédo schneiderien « I want my life back ». C’était il y a deux mois et demi.

« C’est évident que tous ces conflits ne se sont pas résolus tout seuls, juste parce que je suis présidente maintenant, sourit Véronique Faber, mais les conflits sont aussi importants dans une structure. » Elle sait pour les avoir vécus dans d’autres structures, par exemple le milieu des ONGs dans lequel elle travaille depuis longtemps (elle est actuellement coordinatrice du Cercle des ONGs de développement) que rien ne sert de courir ou de se cacher : ces conflits, il faut les affronter, en discuter pour les résoudre. « Oui, il y a une grande nervosité en interne, mais tout n’est pas dû à ce qui s’est passé ces derniers mois. Il y a aussi des choses plus anciennes, qui n’ont jamais été résolues, estime la nouvelle présidente. Je crois que l’origine de cette nervosité est d’abord la grande désorientation qui règne : on ne sait pas où va la radio. Et puis il y a eu des déclarations des uns et des autres, comme ‘on doit davantage se rapprocher de ce que fait France Inter’ ou ‘on doit faire plus d’audience’ qui ont été mal prises. Parce qu’il n’y a pas de vraie culture du débat en interne ». C’est pour cela que Faber a proposé une médiation avec un coach externe, le Français Laurent Goldstein, qui commencera la semaine prochaine. Ce ne sera pas une médiation psychologique, mais clairement orientée management. Avec le directeur Marc Gerges à bord, « Nous ne le ferions pas si nous ne pensions pas qu’il reste ». Au contraire : Véronique Faber estime que le directeur a un rôle-clé à jouer dans le processus et qu’il est à sa place.

The big picture Pour comprendre la nervosité qui entoure la radio de service public, il faut la remettre dans le contexte politique et médiatique actuel : projet porté à bout de bras par le mythique ministre socialiste de la Culture Robert Krieps, la radio remonte à la loi sur la libéralisation du paysage audiovisuel de 1991. Une loi très générale, où la radio ne se voit consacrer qu’un article (14) de six paragraphes, tout le reste se trouvant dans un règlement grand-ducal d’application de 1992. En un quart de siècle d’existence, la Radio 100,7 a passé le gros de son temps à s’émanciper de la grande sœur RTL, qui avait soixante ans d’avance – et les faveurs historiques du DP (par exemple via l’ancien Premier ministre Gaston Thorn, qui fut aussi président de CLT-Ufa). Et Anne Brasseur voulut même abolir la radio, trois ans après son lancement. Il n’était donc que normal que l’arrivée du DP au pouvoir, notamment aux manettes du ministère des Médias, en 2013, fasse naître des inquiétudes quant à l’indépendance de l’éternelle « petite » radio. D’autant plus que, en parallèle à la signature de la convention pluriannuelle avec Radio 100,7, le même gouvernement a aussi signé un nouveau contrat de concession avec RTL Group, assurant un financement public substantiel (de dix millions d’euros maximum) à la chaîne privée, en contrepartie du service public télévisuel. Plusieurs chaînes de radio et de télévision privées étaient nées de la libéralisation des ondes post-1991, comme DNR ou Tango.TV – mais le marché s’est avéré trop exigu pour une offre plus abondante. Elles ont redisparu.

Us & them « Nous nous concentrons sur notre propre rôle », répond Véronique Faber à la question de la relation entre Radio 100,7 et RTL – et ce qu’il en est de cette rumeur persistante qu’une fusion pourrait être envisagée, à terme. « Nous voulons en premier lieu renforcer notre propre position… » Elle réfléchit, puis continue : « Mais nous ne sommes pas naïfs : si demain, Bertelsmann cherchait à se débarrasser de ses programmes luxembourgeois, cette discussion serait probablement à l’ordre du jour. » On n’y est pas encore. « Pour moi, il n’y a pas un ‘ou’ dans l’équation, mais un ‘et’ : ce n’est pas une question de Radio 100,7 ou RTL, mais il faut les deux pour avoir une pluralité des médias au Luxembourg. » Pour Véronique Faber, il est évident qu’en premier lieu, il faut que la Radio 100,7 s’affirme, qu’elle reconquière un peu d’audace et de fierté. « Enfin, il y aurait de quoi être fier. Moi, en tout cas, je suis très fière de pouvoir présider la radio », lance-t-elle.

Débat parlementaire Pour continuer son émancipation, pacifier les équipes et aller de l’avant, il y a un deuxième grand chantier qu’elle définit comme une chance : c’est le grand « débat de consultation sur la radio socioculturelle 100,7 », initialement annoncé pour la semaine du 10 mars à la Chambre des députés. Le 27 février, la commission parlementaire de la Digitalisation, des Médias et des Communications, présidée par l’ancien secrétaire d’État à la Culture Guy Arendt (DP), aura une réunion préparatoire à ce débat. Le CSV est déjà intervenu par écrit auprès du président de la Chambre Fernand Etgen (DP) pour demander que la commission se réunisse plus souvent et que des représentants des chaînes et des organismes professionnels (Conseil de presse, Alia, UER) soient invités pour être entendus. D’après les informations du Land, le débat sera repoussé à plus tard, sans qu’une nouvelle date ne soit encore connue. Le « playdoyer politique », Véronique Faber connaît par son métier, elle est à l’aise dans la mise en place d’une stratégie pour se faire entendre. En faisant du porte-à-porte auprès des partis politiques par exemple.

Aujourd’hui, vendredi 14 février, les chefs de service, la direction et le conseil d’administration se verront pour accorder leurs violons quant à leur position et leurs revendications dans ce débat. Comme une clarification des procédures de nomination des membres du conseil d’administration, qui sont actuellement faites au gré des sensibilités politiques des membres du gouvernement qui chapeautent la radio – à la fois celui des Médias et celui de la Culture. Ainsi, Véronique Faber avait été nommée comme administratrice par la ministre écolo de la Culture Sam Tanson, un an avant d’être désignée présidente en conseil de gouvernement. « Mais je n’ai par exemple jamais rien signé en arrivant à ce poste », concède-t-elle. À ses yeux, il faudrait un code de déontologie qui impose impartialité et non-immixtion aux administrateurs. Car chaque membre du CA, qui doit être représentatif de la diversité de la société, a aussi un métier (PWC, Philharmonie, Cercle des ONGs...) Comment assurer qu’ils ne tentent pas de s’immiscer dans le contenu rédactionnel ? Un commentaire acerbe de Valerija Berdi sur la mauvaise gestion des candidatures d’artistes par l’asbl Esch 2022 diffusé ce lundi a probablement fait grincer les dents de Nancy Braun, la coordinatrice générale de l’année culturelle – qui est aussi administratrice de Radio 100,7 et en avait assuré la direction par intérim pendant un an.

Écosystème L’optimisme et le volontarisme de Véronique Faber changent du défaitisme qui régnait au Kirchberg, son arrivée semble avoir calmé les vagues. Il faut dire que son profil la situe à cent pour cent dans l’écosystème socio-culturel : ethnologue de formation, elle a aussi une formation en administration culturelle et en journalisme, a commencé par faire de la radio libre chez Radau dans les années 1980, participé à la création d’un comedy-club (Lime-O-Lux) et d’un club de magie (Magica). Elle a travaillé dans la micro-finance et l’aide au développement et s’engage dans son temps libre dans l’asbl Open Screen, qui organise des soirées de projections de films et des spectacles. Sa nomination a rassuré les membres de la scène associative qui craignaient que la radio les exclue après la suppression de la rubrique Fräie Mikro ou l’arrivée du très commercial Jim Kent Show les jeudi soir (pour lequel, insiste Faber, seul Kent reçoit un salaire, mais il n’y pas d’autres transactions financières). D’ailleurs, le Fräie Mikro est de retour, mieux encadré et avec des lignes directrices transparentes, désormais publiées en-ligne. « C’est, dit Véronique Faber, une émission très importante pour nous, parce qu’elle nous permet de nous rapprocher de beaucoup de milieux différents. Sur Facebook, c’est même ce qui est partagé le plus ».

josée hansen
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