chroniques de l’urgence

Dans les rets du plastique

d'Lëtzebuerger Land vom 10.01.2025

Lentement mais sûrement, la conscience de l’impact environnemental et sanitaire catastrophique des matières plastiques s’est généralisée. Ce ne sont pas seulement les images des vastes étendues naturelles, océans et plages notamment, couvertes de débris multicolores, restes d’emballages à usage unique ou de filets de pêche, qui alimentent cette prise de conscience. Les biologistes et médecins eux aussi alertent désormais sans relâche sur l’invasion des organismes en tous genres, y compris humains, jusque dans les placentas, par les microparticules synthétiques, issues de la fragmentation de ces matériaux à l’échelle du micromètre voire du nanomètre, et sur les conséquences néfastes de ce phénomène. Ainsi, une étude du New England Journal of Medicine publiée en mars dernier indiquait que leur présence multipliait par deux le risque d’attaques cardiaques et autres problèmes cardiovasculaires auprès de personnes vulnérables. Leur toxicité est souvent liée aux additifs chimiques ajoutés lors de leur transformation ou aux micro-organismes et polluants qui peuvent s’y fixer. Les poumons et le système reproducteur peuvent également être touchés.

Pourtant, fidèles à leur entêtement autodestructeur, les nations du globe refusent de s’entendre sur une trajectoire de limitation de la production de ces produits. La dernière conférence internationale consacrée à cet effort, du 25 novembre au 1er décembre à Busan, en Corée, s’est cassé les dents sur l’opposition féroce d’une alliance de pays producteurs de pétrole, Arabie Saoudite, Russie et Iran en tête. Décidés à faire capoter tout engagement global de réduire la production de ces matériaux, ces pays sont parvenus à ce que la conférence se termine sur un constat d’échec.

L’objet de ces réunions du « Comité de négociation intergouvernemental » (INC), créé en 2022 par une résolution de l’Assemblée environnementale de l’ONU, est de parvenir en deux ans et demi à un traité contraignant sur la pollution plastique. Un des objectifs est de freiner la production des polymères primaires, précurseurs génériques des matières plastiques (dérivés à plus de 99 pour cent du pétrole), ainsi que d’encadrer l’ensemble de leur cycle de vie, y compris leur conception et leur production. À Busan, les 3 300 délégués ont certes fait état d’avancées : la directrice du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), Inger Andersen, s’est félicitée que « l’engagement du monde à mettre fin à la pollution plastique (soit) clair et indéniable ». Mais ils n’ont pu que remettre à une nouvelle séance de tractations, prévue cette année en un lieu qui reste à déterminer, la tâche de finaliser le texte d’un traité, et en particulier celle de s’entendre sur des réductions de production. Le délégué saoudien a exposé la fin de non-recevoir que son pays continue d’opposer à de telles réductions, s’efforçant de dissocier le matériau de la pollution qu’il occasionne. « Si vous visez la pollution plastique, il ne devrait pas y avoir de problème pour la production de plastiques car le problème c’est la pollution, pas les plastiques eux-mêmes », a pontifié Abdulrahman Al-Gwaiz. Alors que les observateurs espéraient que les États-Unis, officiellement en faveur d’une limitation progressive de la production, usent de leur influence à Busan, ils ont été déçus : leur passivité, qui il est vrai reflète sans doute aussi leur rôle de premier producteur mondial d’hydrocarbures, a fait le jeu des obstructeurs.

Qu’il soit difficilement envisageable pour ceux dont les revenus dépendent principalement de l’extraction de pétrole de renoncer au plastique n’étonne personne. La notion d’un recyclage plus efficace, qu’appelle implicitement de ses vœux M. Al-Gwaiz, relève de l’illusion. Le monde produit aujourd’hui quelque 350 millions de tonnes de plastique par an, dont neuf pour cent seulement sont recyclés et dont la moitié environ va à des produits à usage unique (essentiellement les emballages). En 1950, la production annuelle mondiale était de deux millions de tonnes. À moins d’un traité contraignant limitant sa production, il est estimé qu’elle triplera d’ici 2060 pour atteindre un milliard de tonnes.

Pour les producteurs de pétrole, le plastique est un débouché supplémentaire offrant des marges avantageuses. Alors que le gros de leur production est destiné à la combustion, et qu’ils font tout pour pouvoir continuer d’extraire et de vendre à tout va, l’idée qu’il puisse leur incomber de juguler la part de plastique à usage unique qui finit dans la nature est pour eux impensable. Qui plus est, l’appétit en apparence insatiable dont le monde fait preuve à l’égard du matériau, du fait son omniprésence dans les modes de vie du 21e siècle, représente pour eux un plan B pour le cas où le monde finirait par se ranger à l’avis des scientifiques et décidait, enfin, de se sevrer des combustibles fossiles.

L’industrie pétrochimique aime mettre en avant les usages bénéfiques des matières plastiques (il y en a, par exemple les gants chirurgicaux), espérant ainsi détourner le regard de l’effet problématique sur l’environnement et la santé humaine de leur utilisation massive et inconsidérée. Sans oublier que leur production (et aussi leur recyclage) est énergivore et que leur décomposition, qui peut prendre très longtemps, et leur incinération (estimée à 19 pour cent de la production) sont elles-mêmes émettrices de gaz à effet de serre. Leur accumulation dans les océans, y compris dans le phytoplancton, pourrait obérer la capacité de ceux-ci de stocker du carbone en entravant la photosynthèse.

Les blocages qui ont empêché l’adoption d’un traité contraignant à Busan rappellent fortement ceux des COP sur le climat. Comme à Abu Dhabi en 2023 ou à Bakou en 2024, la règle du consensus qui prévaut dans les négociations internationales aura permis à une minorité de pays, emmenés par les usual suspects aux doigts souillés de pétrole, d’imposer la poursuite du statu quo fossile et plastique. Le monde ressemble de plus en plus à ces dauphins, phoques, baleines ou tortues aux corps empêtrés dans des lambeaux de plastique ou à ces estomacs d’animaux marins saturés de détritus indigestes que nous voyons régulièrement sur nos écrans.

Jean Lasar
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