Des photographes à la recherche de l’Europe, des architectes à celle des villes à venir : deux expositions de l’Akademie der Künste de Berlin

Images d’aujourd’hui, défis de demain

d'Lëtzebuerger Land du 23.10.2020

Difficile de coller plus au contexte actuel que l’un des membres du groupe Ostkreuz, vieux quand même d’une trentaine d’années. Ils sont 23 à s’être mis en quête de l’Europe dans l’exposition de photographies dans les salles en enfilade dans le bâtiment de Günter Behnisch, Pariser Platz, siège de l’Akademie der Künste (avec sa façade de verre contrevenant hardiment à la contrainte des parements de pierre). Heinrich Voelkel, lui, sous le coup de la crise sanitaire et de la fermeture de telles frontières, nous met carrément face aux barrières, aux panneaux d’interdiction de circulation : No Easy Way Out. Pour certains pays, pour des hommes et des femmes, ce n’est pas plus facile d’entrer. Et l’on n’en a toujours pas fini non plus avec le Brexit.

Impossible de prendre à notre tour tous les chemins de ces photographies, ce ne peut être le sujet. Tellement les coups d’œil sont nombreux, divers, mais c’est justement par là également que cette exposition s’avère juste, donnant une image exacte, conforme à notre continent. Cela vaut pour les villes, les paysages, les humains, il en est, des uns et des autres, qu’on aurait beaucoup de peine à voir sombrer dans l’uniformité globale. Par exemple les gens que Ute Mahler et Werner Mahler ont croqués an den Strömen, plus extraordinaire, The Most Powerful Witch of Europe, de Johanna-Maria Fritz.

Pour faire la transition avec l’autre exposition, au Hanseatenweg, Urbainable/Stadthaltig, pour faire connaître tant de positions sur la ville européenne du 21e siècle, on s’arrêtera dans la première étape un dernier instant devant les photographies de Dawin Meckel, dont l’une surtout intitulée Die Wand/The Wall. Un paysage urbain à la Edward Hopper, à moins de rapprocher ce carrefour, ses façades et leurs placages, les deux hommes et la femme qui le traversent, d’un décor de Richard Peduzzi. Pas d’ouverture sur un horizon, pas d’échappatoire : « Ich bin dem Licht gefolgt, das in dieser Welt der Banken immer nur von oben zu kommen scheint... » Bien sûr, des endroits existent où l’environnement, même des banques, est plus dégagé, a plus d’ampleur et tend moins à claustrer. Et pour la ville en général, on n’a pas tort, au Hanseatenweg, d’insister sur tout le bien qu’il faut penser de la vie citadine.

Une première salle, avec là encore beaucoup de photographies, d’Erik-Jan Ouwerkerk, nous fait vraiment faire le point de tout ce qui constitue, en bien et en problème, la ville européenne d’aujourd’hui, des constatations, des interrogations, des statistiques. Peut-être trop, si l’on pense à la suite de l’exposition. Mais comment ne pas s’attarder à tout ce qui se rapporte par exemple à la présence d’étrangers, en allemand on dit Einwohner mit Migrationshintergrund : Offenbach et Francfort viennent en tête, Berlin est loin derrière, cela ne dit pas grand-chose sur l’intégration, ce qu’on appelle maintenant le séparatisme.

À Francfort, près de mille appartements ne sont pas occupés, n’allez pas chercher loin pourquoi. Autre chose amène à réfléchir avant de parcourir la deuxième partie de l’exposition, trop riche encore, touffue, avec pas moins de 33 interventions d’architectes : des dessins, des maquettes, des vidéos, j’en passe, élargissant leurs propos à l’urbanisme ou se limitant aux deux défis proposés par l’organisateur, la durabilité et le changement climatique. On aura appris avant qu’en Allemagne la rénovation fait seulement la moitié de la construction nouvelle.

Il se trouve par hasard que l’exposition se termine sur l’espace de l’agence Lacaton et Vassal. Des champions de la transformation, et c’est cette particularité qui leur a valu ces jours-ci le prestigieux prix du Bund Deutscher Architekten, décerné tous les trois ans seulement, et dont le dernier lauréat fut Peter Zumthor. Lacaton et Vassal ont débuté avec une maison privée, en 1993, à Floirac, ils ont étendu leur renommée avec le palais de Tokyo et la Documenta 12, et dernièrement leurs transformations justement, de trois tours et 530 logements à Bordeaux, comme de la Tour Bois le Prêtre à Paris 17e. Le BDA salue chez eux « eine Haltung und eine Entwurfsmethodik : als Pioniere der Maxime ‘Umbau vor Neubau’ gelten sie nicht nur als Vorbilder für klimagerechtes Bauen, sondern sind auch beispielgebend für ein politisches Engineering in prekären sozialen Situationen. »

Lucien Kayser
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