Résoudre la crise du logement en ajoutant des étages aux immeubles existants ?

Couronnement

Plus quatre étages : immeuble reconstruit dans l’avenue de la Gare à Luxembourg
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 14.02.2020

Pour combattre la crise du logement, pourquoi ne pas « simplement » augmenter de quelques étages les immeubles existants ? Dans un rapport commandité par le Premier ministre français, Édouard Philippe, sur « la maîtrise des coûts du foncier », la surélévation (Aufstockung) est présentée comme une véritable panacée. Elle pourrait « créer rapidement des logements de qualité, au cœur des zones tendues, sans subvention publique », « financer la rénovation énergétique du parc immobilier existant », « lutter contre l’étalement urbain », « stimuler la mixité sociale et la mixité d’usage », « promouvoir la filière française de construction de bois ».

En matière urbanistique, Vienne reste la référence. La surélévation y est en effet acceptée comme une façon de moderniser le patrimoine bâti. (Après avoir eu l’accord d’une commission spéciale, le propriétaire peut ajouter un étage qui doit cependant marquer un fort retrait par rapport à la charpente existante.) Le ministre de l’Aménagement du territoire, Claude Turmes (Déi Gréng), expliquait récemment au mensuel Forum : « Unser Vorbild ist die Stadt Wien, der es durch Aufstockung auf bestehende Wohnhäuser gelungen ist, auch finanziell ‘added value’ zu generieren. 50 oder 80 Quadratmeter Wohnfläche auf Limpertsberg, in Bonnevoie oder Belair bedeuten viel Geld. Durch Aufstockung der bestehenden Gebäude ließen sich durch das zusätzliche Geld Anlieger- und Mehrgenerationenwohnungen bauen und energetische Sanierungen durchführen. »

Seulement Luxembourg n’est pas Vienne. La comparaison entre l’ancienne bourgade de province et la métropole de l’empire déchu des Habsbourg ne tient pas vraiment la route. À part l’avenue de la Liberté et quelques rues de l’hyper-centre, on trouve très peu d’immeubles d’habitation qui présentent un volume, un calibre et une stabilité approchant le faste KuK viennois. Même si la Ville de Luxembourg voulait inciter tous les propriétaires à surélever leur maison, il n’est pas certain combien de celles-ci seraient statiquement à même de porter cette charge supplémentaire.

Le parc immobilier de la Ville de Luxembourg reste marqué par des petites structures, avec étonamment peu de grands d’appartements. Ce ne sera qu’à partir des années 1960 que l’architecte-promoteur Paul Retter imposera à une ville de maisons et de jardins de nouvelles échelles, de nouveaux volumes. Sa « Société des grandes réalisations immobilières à Luxembourg » encerclera le centre-ville d’une trentaine de grands blocs d’habitation. En 1975, Retter réalise ce qui restera son immeuble le plus malfamé : le Forum Royal. Il fallut détruire neuf immeubles pour faire place pour ce Léviathan de quatorze étages.

Aujourd’hui, 8 277 bâtiments sur les 25 465 que compte la Ville sont protégés à des degrés divers. C’est-à-dire que sur environ un tiers des maisons, les droits des propriétaires ont été limités. Une surélévation y est a priori interdite. Le PAG a pourtant prévu quelques exceptions. Dans le plan de repérage du « PAP – Quartiers existants », quelques douzaines de maisons sont marquées d’un disque bleu signalant que, malgré le fait que ces immeubles soient classés comme « ensembles sensibles », une surélévation y reste permise pour s’adapter au contexte urbanistique.

Ainsi, le pavé de maisons unifamiliales situées derrière la place de Strasbourg est autorisé à pousser en hauteur, afin de mieux harmoniser avec l’ancien Economat qui mesure six étages. Idem pour les cinq résidences patriciennes à l’ombre du boulevard Royal et en lisière du parc de la Fondation Pescatore. Le Plan d’aménagement général de 2017 fixe un cadre esthétique à tout projet d’Aufstockung qui doit ainsi respecter « les proportions et la qualité architecturale de l’immeuble » et faire preuve d’« une sobriété dans la modénature et les matériaux » afin d’« harmoniser » avec son milieu urbain.

La qualité d’autres immeubles est jugée de manière plus rude par le PAG. Leur démolition est autorisée, voire souhaitée. Dans le plan de repérage, ils sont marqués d’un triangle rouge pour signaler que ces bâtisses – pour la plupart des blocs d’appartements construits dans les années 1970 et 1980 – ne devront surtout pas servir de référence architecturale aux immeubles voisins.

Au Luxembourg, les exemples de surélévations restent rares. Pour la plupart, ils sont impossibles à percevoir depuis la rue. Et ils sont quasiment tous concentrés dans l’hyper-centre : L’immeuble hébergeant la boutique Gucci au 21 rue Philippe II ; le « House of Diamonds » au 5 rue des Capucins ; ou encore le 17 rue Beaumont.

Dans les prochaines années, l’avenue de la Gare changera radicalement de visage. Le PAG donne la possibilité aux propriétaires des anciennes maisons, construites au début du XXe siècle, d’ajouter plusieurs étages pour rivaliser en hauteur avec les buildings voisins, construits depuis les années 1970. Au sens strict, il ne s’agira pas de projets de surélévation, mais d’énucléation (Entkernung). Seule la façade sera conservée pour servir de coulisse dans laquelle se coulera un nouveau bâtiment. Ces bâtiments nouveaux, dont les premiers étages garderont leur aspect ancien, devront respecter la succession et l’échelle de façades afin d’éviter les énormes volumes rappelant les navires de croisière et qui forment un paysage très lassant pour le piéton.

À Londres, la surélévation est une pratique assez courante. Ceci est lié au fait qu’une majorité des bâtiments appartiennent à un propriétaire unique. Au contraire du Luxembourg où le modèle de la copropriété prédomine. Cette diversité d’intérêts particuliers peut inciter à l’immobilisme. Car élaborer un projet de surélévation, c’est ouvrir la porte à d’interminables querelles entre copropriétaires. (Le développement de la copropriété a ainsi conduit à une hausse significative des litiges judiciaires.) La survie du Forum Royal, vestige d’une modernité brutaliste, doit ainsi beaucoup au fait qu’il y a quelque 200 intéressés qui s’en partagent la propriété. 

Bernard Thomas
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