Plus de deux ans après la précédente édition, le festival Passage Transfestival apporte le Brésil sur les scènes messines. Reste à lui trouver un nouveau souffle

Un weekend de non-spectacles

d'Lëtzebuerger Land vom 10.09.2021

Haaaa le protocole… Une centaine de personnes jonchent le sol du Coração, le « cœur » du festival Passages Transfestival, déplacé pour cette édition depuis la Place de la République, vers l’intimité du parvis de l’Arsenal. L’endroit est cosy, on y mange, boit, entend de la musique, évidemment brésilienne, le pays-phare de cette année. C’est l’inauguration de cette édition 2021, ou 2020, on ne sait plus… Il y a foule, mais combien de ces piques assiettes verrons-nous devant les spectacles de cette édition reportée, s’ouvrant enfin, 28 mois après la dernière édition ?

« Est-ce que tu vois deux places ? », en effet, il n’y a quasiment plus de places, « c’est copieusement rempli », entend-on de la bouche de l’exalté président du festival, Francis Kochert. Des bénévoles, tee-shirt bleu « Trans-festival », prennent un selfie, masques baissés, comme un symbole : beaucoup voulaient être à cette première de O Vento, ou en tout cas à l’ouverture de l’événement phare du Grand Est, en cette rentrée ensoleillée. 21h15, ça rentre encore, le directeur du festival fait les cents pas, Benoît Bradel montre un stress de rigueur, avant le spectacle d’ouverture d’une édition qui devrait être celle fixant son empreinte – ou « emprise » – sur un Festival Passages, laissé un peu estropié par son prédécesseur.

O Vento se lance, autour des miaulements d’un bébé, couplés au souffle mélodique d’un accordéoniste qui descend doucement les longues marches de l’Arsenal. L’image est forte, et pourtant, la mère sort son poupon, histoire de ne pas entraver ce qui est annoncé comme une grande rencontre avec le Ballet de l’Opéra Théâtre – Metz Métropole et les chorégraphes brésiliens Morena Nascimento et Lucas Resende. Une aventure spectaculaire sur le papier, et pourtant, l’alchimie n’y est pas. O Vento, outre son rythme faiblard, ressemble à une « bonne » répétition en costume. On y trouve certaines images fortes, mais un récit tailladé qui s’évapore à chaque nouveau tableau. Du beau, néanmoins sans ce récit qui nous embarque, cette dramaturgie qui fait le corps d’une narration chorégraphique. O Vento, s’il est bourré d’écueils vaut bien une heure d’attention, rien que pour l’objet de recherche scénique qu’il est en soi, une expérimentation sortie d’un de ces laboratoires chorégraphiques, qui, à phase trois, se révélera peut-être, efficace.

Le lendemain, on trouve un coussin au sol pour se poser devant Nebula, la nouvelle création de la plébiscité Vania Vaneau. On nous a dit Vaneau rassembler les foules, c’est vrai, la jauge est largement dépassée. Pourtant, malgré la popularité de la chorégraphe et danseuse, elle nous laisse avec un sentiment mitigé. Nebula a d’immenses et fines qualités esthétique, visuelle, et poétique. On y voit l’image d’un monde fini, qui se transforme par les échos du charbon et de la pierre. On y entend l’histoire d’un être en mutation, dans un rituel chamanique sous emprise, le faisant changer, voire ressusciter autrement. C’est une incantation divinatoire qui se déroule sous nos yeux, pour faire « naître » autre chose, du vaudou dans une chapelle désacralisé, activé par une déesse magnifique de bout en bout. Mais étrangement, cette idée du monde d’après, fait de pierre et de charbon livre un tel premier degré, qu’on y ressent une vision passéiste du futur. Ce langage artistique ésotérique nous échappe par moment, nous faisant nous questionner sur ce qu’on regarde, du spectacle vivant, ou un trip touristique chamanique, comme ceux pullulant dorénavant en Amazonie.

Deixa arder s’invite comme un cheveu sur la soupe après la dose Nebula… Là, Marcela Levi et Lucía Russo mettent en danse Tamires Costa sous le parti pris de « confronter le public aux stéréotypes historiques et actuels du corps des danseurs noirs ». Seule au centre d’un plateau nu, Costa, est en effet confrontée à sa propre danse et nature, jusqu’à en souffrir physiquement et mentalement, dans une reproduction inlassable des mêmes mouvements jusqu’à épuisement, quoique cette exceptionnelle danseuse semble inépuisable. Deixa arder est ce genre de spectacle « dommage », employant la caricature pour en constituer une autre, celle d’une scène qui se regarde le nombril, autour de débats qu’on devrait aujourd’hui considérer périmés, pour avancer dans un ailleurs, tant attendu.

Notre weekend de « passager » se poursuit par un samedi bien rempli : quatre pièces sont au programme d’un parcours se jouant autour et dans les entrailles du Centre Pompidou Metz. Notre forêt s’installe dans une des galeries en démontage. Dans une scénographie intelligemment « bricolée » (Maëva Longvert), on assiste au casque à une pièce somptueuse, orchestrée par la superbe danseuse Justine Berthillot. Et bien qu’il reste toujours ce premier degré qu’on ne cesse de reprocher à la programmation actuelle de Passages, Notre forêt est harmonieusement réglé, offrant une grande poésie chorégraphique.

Dans Blanc, seconde pièce du parcours, on retrouve Vania Vaneau dans une forme courte extérieure, bien plus sobre. La danseuse investi la pelouse du parc de la Seille, d’un autre rituel, plus « solaire ». Par un étalage de costumes, qu’elle viendra revêtir, Vaneau, sous les riffs électroniques psyché de Simon Dijoud, fait représentations de dieux et déesses pour conter mythes et légendes, jusqu’à créer une forme mystique unique, reine, et suprême.

Troisième « objet spectaculaire » – car on ne peut pas dire « spectacle » –, Ikueman livré par Rafael de Paule et la Cie du Chaos, montre une très impressionnante performance de cirque, sans grande prétention narrative, mise en scène, ni costumes ou effets scénographiques. Un « objet », donc, de prouesses certes, mais aux attraits dramaturgiques assez plats, ouvrant à de micro et éphémères émotions, et aux ressorts esthétiques assez semblables à un étalage de ce qu’on apprend dans une bonne école de cirque.

Rue clôture ce marathon, sans en être le clou, bien au contraire. Rencontre entre le chorégraphe et universitaire Volmir Cordeiro et le musicien Washington Timbó, Rue est créé en 2015, et semble, six ans après, avoir perdu sa vitalité d’antan, au profit d’un déballage de « préceptes », fruits d’une intense masturbation cérébrale. Un moment douloureux, où le spectateur est forcé à légitimer la prestation loufoque d’un danseur qui se croit tout puissant, effrayant les enfants, comme les adultes au nom de « l’art », ce dernier transcrit comme élitiste et adressé à, pour et par, celui qui le fait.

Voilà plusieurs éditions qu’on ne retrouve plus le fil rouge de feu Passages, celui qui nous tenait en haleine et nous faisait prendre un billet pour le spectacle suivant, à peine sorti du précédent… Après Charles Tordjman, les différents directeurs tentent de raconter leur propre histoire, mais peine à trouver leur identité, comme Passages le tissait auparavant, à la force d’une programmation bouleversante et étonnante. Sur ce premier weekend de spectacles, en tout cas, avec une véritable satisfaction en tant que spectateur sur sept « objets » vus, ce néo Passages, dit « trans », malgré tous ses nombreux efforts, n’a finalement pas su nous mettre en transe.

Godefroy Gordet
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