Cinemasteak

Une passion mexicaine

d'Lëtzebuerger Land du 10.09.2021

Un pantin géant en papier mâché, une végétation luxuriante, un paon déambulant parmi d’énigmatiques statues, le tout prenant place dans la cour intérieure d’une singulière demeure... C’est là, dans la lumineuse Casa Azul, que vécut la célèbre artiste mexicaine Frida Kahlo (1907-1954).

Un environnement familier qu’on retrouve dans ses tableaux. Julie Taymor, la réalisatrice de Frida (2002), le sait bien, chaque fragment de son film jouant de la porosité entre l’œuvre et la vie. Le choix du biopic s’avère particulièrement judicieux dans le cas de Kahlo, elle dont la peinture, si personnelle et douloureuse, fut exutoire, tentative de cicatrisation, conjuration du sort. Ses toiles sont le miroir où transparaissent les failles d’un corps et les défaites amoureuses d’une âme blessée.

La trajectoire de l’artiste fut en effet émaillée de drames, à commencer par cet accident de bus qui lui brisa la colonne vertébrale à l’âge de 18 ans. À l’hôpital où elle est immobilisée plusieurs mois durant, la jeune femme passe le plus clair de son temps entre le dessin et les séances de rééducation. Un an après pourtant, Frida remarche : à peine remise sur pied, elle part à la rencontre de Diego Rivera (1886-1957) pour lui faire découvrir ses œuvres. Ce sera le début d’une passion aussi longue que tourmentée, à une époque marquée au Mexique par d’importants bouleversements politiques.

D’une beauté sévère, l’anticonformiste Frida (Salma Hayek) est en tout point contraire à son amoureux ; car lui est massif, sûr de ses moyens, d’autant plus que son talent est déjà reconnu. On les surnommait, avec dérision, « la colombe et l’éléphant ». Leurs œuvres-mêmes traduisent deux conceptions opposées de la peinture. Kahlo travaille sur chevalet à des tableautins aux sujets intimistes : ce sont principalement des portraits ou des autoportraits dans lesquels son regard noir de gitane prend le spectateur à témoin. À l’inverse, Rivera peint au sein d’édifices publics de gigantesques fresques peuplées d’ouvriers et de paysans, sous la bannière rouge du communisme. À l’introspection de la jeune femme répond, de l’autre, l’appel collectif à la lutte des classes. Il en est de même dans leur vie privée : aux infidélités nombreuses de Rivera, incorrigible coureur de jupons, font pendant les plaisirs homosexuels auxquels sa femme se livre par dépit.

On connaît les multiples talents de Julie Taymor. Formée à l’École internationale du Mime de Jacques Lecoq (Paris), la réalisatrice a suivi par ailleurs des études d’anthropologie à l’université Columbia. D’où le soin particulier qui est porté à la reconstitution de la culture populaire mexicaine. Le tournage s’est déroulé in situ, parmi les églises espagnoles et les superbes plateaux du Teotihuacan, où se rencontrèrent Frida et Trotski et où passèrent, également, Sergueï Eisenstein et son chef-opérateur attitré Édouard Tissé pour préparer le tournage de Que viva Mexico ! (1931). Les vêtements traditionnels que revêt Frida, comme les Indiennes, ont été confectionnés par la costumière Julie Weiss et offrent un festival de couleurs resplendissantes. Le commentaire musical permet de découvrir de remarquables chants, assortis de tangos sensuels. On reconnaîtra enfin certains lieux communs qui viennent rythmer la vie mexicaine : le marché aux fruits, la célébration de la fête des morts, ainsi que les nombreuses institutions d’État ayant accueilli les fresques de Diego.

Frida (USA/Mexique, 2002), vostf, 123’, est projeté mercredi 15 septembre à 19 h à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg

Loïc Millot
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