Un petit coin du Suffolk fait de Constable un des grands peintres paysagistes anglais du 19e siècle

Éloge de la campagne

d'Lëtzebuerger Land du 15.07.2022

Quarante œuvres prêtées par la Tate de Londres vont faire le buzz de l’été à la Villa Vauban avec l’exposition John Constable’s English Landscapes. Masterpieces from the Tate Collection. On peut simplement se promener dans l’exposition des paysages de John Constable, surprenante par sa palette dans les tons bruns et verts – et donc trouver ça terne – ou être surpris par des très grands formats académiques – et kitsch – comme Salisbury Cathedral from the Meadows, exposé au Salon de l’Académie en 1831 ou The Opening of Waterloo Bridge, exposé au Salon en 1831.

Mais pour bien comprendre et apprécier son art, il faut aller plus avant et considérer l’exposition comme une véritable leçon d’histoire de la peinture : Constable fut novateur, en hissant la peinture de paysage au rang d’art à part entière. Il fut aussi académique pour faire carrière parmi ses pairs, à l’égal de son grand rival William Turner, par ailleurs le deuxième grand paysagiste du début du 19e siècle anglais, dont on peut voir Guildford from the Banks of the Wey, et Godalming from the South de 1805, des huiles sur bois dans l’exposition.

John Constable, (1776-1837) fit aussi les portraits de riches hobereaux pour gagner sa vie. Il n’y en a pas dans l’exposition, puisque entièrement consacrée au paysage. Mais on sait que Constable admirait Thomas Gainsborough (1758-1788), qui au 18e siècle, représenta de manière un peu raide et solennelle, correspondant à leur rang, la noblesse terrienne. On verra par contre de Constable quelques aquarelles, Tops of Hills or Mountains, une encre, aquarelle et graphite sur papier de 1823 ou Netley Abbey by Moonlight, 1833, aquarelle et graphite sur papier, même s’il ne fut pas un aquarelliste qui voyagea à travers toute l’Europe, comme son grand rival William Turner (1775-1851), dont on connaît la série célèbre de Luxembourg.

Avant Constable, des paysages, au crayon, à la plume, rehaussés de lavis et d’aquarelle, souvent monochrome, appartenaient à un genre mineur et technique, connu sous le nom de peinture topographique pour l’illustration d’ouvrages d’architecture, d’archéologie, voire à but militaire. Cela pouvait être aussi des vues pittoresques rapportées du voyage initiatique en Italie, telles celles d’Alexander Cozens au 18e siècle. La nouveauté de Constable, dans ce 19e siècle naissant, c’est surtout la peinture à l’huile de paysage sur le motif, dans laquelle il excella et qui fit de lui le maître des peintres paysagistes réalistes. En France – où il connut le succès avant son Angleterre natale – il influença Courbet, Corot et les peintres de l’École de Barbizon. On ne peut malheureusement pas s’approcher dans l’exposition de cette « pâte » exécutée en plein air et la regarder de près pour des raisons de sécurité voulues par la Tate. Ces prêts sont inestimables.

Constable ne peignit quasi que dans sa région de naissance le Suffolk, où son père, charbonnier et minotier, le destinait à reprendre le moulin de Flatford sur la Stour dans la vallée de Dedham. C’est ici que Constable peignit The Glebe Farm (1830) aussi appelée The Valley Farm (1835), dans une palette aux couleurs simples, mettant l’accent sur des sujets locaux du quotidien à l’avant-plan : petit personnage au bonnet rouge, garçonnet buvant à plat ventre, silhouettes avançant sur un chemin encaissé, vaches et batelier conduisant une vieille femme sur la rivière. John Constable avait vu Paysage avec Agar et l’Ange (1646) de Claude Gelée dit Le Lorrain, un chef d’œuvre du 17e siècle classique, chez son mentor, Sir Georges Beaumont. Mais des scènes inspirées de l’Antiquité aux grands paysages mettant en valeur des actions héroïques ou dramatiques, Constable passe à sublimer la beauté et la grandeur de la nature réelle, comme le prônait le théoricien du « pictoresque », Uvedale Price, ami de Sir Beaumont…

Un autre grand fervent soutien de Constable fut l’archidiacre John Fisher, aboutissant au gigantesque tableau Salisbury Cathedral from the Meadows, où le ciel est traversé d’un arc en ciel aux couleurs presque surréelles. Dans la même veine de tableaux de très grande taille, The Opening of Waterloo Bridge (‘Whitehall Stairs, June 18th, 1817), est une sorte de climax de la représentation officielle, avec un foisonnement de détails et personnages, sous un ciel d’où, à bien y regarder, jaillit un rayon lumineux qui est l’égal du couronnement de la cathédrale par l’arc en ciel.

Les organisateurs luxembourgeois de John Constable’s English Landscapes. Masterpieces from the Tate Collection, Gabriele Grawe et Guy Thewes, ont choisi pour illustrer la couverture du catalogue, l’huile sur papier sur carton Cloud Study de 1822. Ils ne se sont pas trompés. Les ciels et les éléments tels les mouvements de la mer et du vent jouent un rôle considérable dans la peinture de Constable. Si en 1822 il s’installe à Londres tout en revenant peindre de manière quasi obsessionnelle sur les thèmes de sa région d’enfance, il se révélera aussi fin observateur de son époque. C’est un des aspects quasi cachés de l’exposition. Chain Pier, Brighton (1826), son front de mer urbain, son pont métallique et les citadins arc-boutés contre le vent sur la plage, à l’opposé de la jetée de Yarmouth Jetty (1824) encore toute en bois où l’huîtrier tire sa carriole, A Windmill near Brighton de la même année, nous ont semblé quasiment modernes.

John Constable’s English Landscapes. Masterpieces from the Tate Collection est à voir jusqu’au 9 octobre à la Villa Vauban

Marianne Brausch
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