Centre Pompidou Metz

Exports d’expos

d'Lëtzebuerger Land du 13.05.2010

À Paris, depuis quelque temps, on voit des affiches qui expliquent que Picasso et Dali s’installent à Metz. Deux morts de plus, voici qui va redorer le blason de la Lorraine, une région déjà réputée pour ses cimetières militaires. Comme si la Moselle avait besoin de cela, après les fermetures de casernes et les restructurations dans la sidérurgie. Enfin, les deux stars de l’art moderne doivent convaincre des Parisiens qu’il y a une vie (culturelle) à l’Est du périphérique. Pour des gens qui pensent parfois que la province est un autre monde, ils pourront même se croire sur une autre planète, grâce au design futuriste du nouveau bâtiment, qui rivalise avec celui des meilleures aires d’autoroute de Belgique.

En ouvrant un Centre Pompidou à Metz, et on sait qu’un Louvre est prévu à Lens et un autre à Abou Dhabi, on donne aux musées des allures de franchises. Comme les Quick ou les H[&]M. En fait, une comparaison plus juste serait sans doute Disneyland, puisque c’est un lieu qui porte le nom de son créateur et qui est principalement destiné à attirer des touristes. En plus, Nicolas Sarkozy est déjà venu le visiter, c’est un signe. On décentralise et on désacralise, ce n’est pas forcément une mauvaise idée.

Depuis le succès du Guggenheim de Bilbao, les noms des institutions culturelles ont pris des allures de marques commerciales. Si vous rajoutez une architecture improbable, style pavillon d’exposition universelle, vous êtes sûrs de marquer les esprits et de contribuer à l’aura du site. Même si personne ne peut citer un seul des tableaux qui y est exposé. Tout le monde gagne à ces délocalisations : le site de départ s’agrandit, à des conditions financières forcément avantageuses (il ne doit pas rester beaucoup de mètres carrés disponibles à côté du Louvre ou de Beaubourg, et les régions élues contribuent de façon non négligeable à la construction), la ville hôte gagne un centre touristique au nom déjà connu, les œuvres des artistes qui étaient entreposées dans les réserves des collections sont exposées et les touristes n’ont plus à se déplacer aussi loin qu’avant.

Sur le même modèle, j’imagine qu’on pourrait bientôt commencer à construire de nouvelles statues de la Liberté, des Taj Mahal et des grandes murailles de Chine un peu partout. Voire récupérer un peu d’eau des chutes du Niagara, qui en ont déjà beaucoup.

« T’es déjà allé à Venise ? – Oui, dans le Pas-de-Calais. – Ha, je ne connaissais pas celle-là, je pensais à la Venise à côté de Sarrebruck. »

On aurait les versions low cost, avec juste la façade des monuments, un parking hors de prix, des toilettes payantes et des guides désagréables. Pourquoi ne pas penser aussi à des all inclusive avec l’audioguide, le vestiaire à l’entrée, la garderie pour les enfants, une dizaine de cartes postales déjà écrites et un tapis roulant pour éviter de devoir marcher.

Évidemment, l’intérêt de la manœuvre est surtout de permettre d’exposer des pièces de la collection des musées dans d’autres lieux que leurs bâtiments initiaux. Un peu comme une résidence secondaire, où vous décideriez de ressortir des meubles qui traînaient dans votre grenier. Une résidence secondaire à Metz ? Pourquoi pas : les œuvres y seront bien au frais, accessibles en moins de deux heures de train pour les déçus qui seront venus à Paris voir leur tableau préféré et qui apprendront qu’il a déménagé dans l’annexe du musée, à quelque 300 kilomètres de la dernière station de RER. Et, surtout, elles se rapprochent du Luxembourg, de la Belgique et de l’Allemagne, ce qui contribuera certainement au rayonnement européen du musée français.

Après tout, en ces temps de réchauffement climatique, n’est-il pas plus (éco)logique de faire voyager un tableau pour le rapprocher de deux ou trois millions de visiteurs plutôt que l’inverse ? Le Rijksmuseum vient bien de prêter des toiles à notre Villa Vauban pour sa réouverture. Et puis, poussons le raisonnement plus loin, qu’est-ce qui empêche de louer ou vendre son patrimoine culturel ? Pour résoudre ses problèmes de déficit, la Grèce pourrait demander à l’Angleterre de lui rembourser les frises du Parthénon, avec intérêts de retards, faire payer des droits d’auteur sur la lettre Y ou louer des morceaux de l’acropole. L’Islande délocalise déjà les cendres de ses volcans à travers toute l’Europe, même si elle n’a pas encore trouvé de modèle économique pour les rentabiliser…

Cyril B.
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