Débat sur le théâtre

Une liaison pornographique

d'Lëtzebuerger Land du 11.11.1999

Enfin médiatisé, le débat sur le théâtre ! Le coup de gueule du metteur en scène Paul Kieffer, un de ces samedis à la télévision aura eu du bon. Soudain, tout le monde parle du théâtre, surtout ceux qui n’y vont jamais. Le journal de RTL Tele Lëtzebuerg y consacre un Top Thema, sa rubrique-phare, et voilà qu’il pleut des questions parlementaires (Di Bartolomeo, POSL, Bettel, PDL), que les socialistes réfléchissent dans leur groupe de travail culture, et que Guy Dockendorf, le maître du ministère de la Culture, publie enfin les chiffres des subsides alloués aux différentes structures théâtrales: quelque 50 millions de francs en tout. En règle générale, il règne la plus grande discrétion sur les chiffres, de peur de la jalousie de métier du milieu. Et il s’avère que cette crainte n’était peut-être pas tout à fait fausse, parce que presque toutes les prises de position publiques accusent le Théâtre national de Frank Hoffmann de recevoir trop d’argent, d’être quasiment la perte de ses collègues.
Or, cette seule lecture, cette seule polarisation serait dramatiquement fausse. Il faut le dire haut et fort : le Théâtre national mérite ses onze millions de francs ! Il a fait bouger plus de choses, noué plus de contacts, amené plus de très grands spectacles, de très grands noms du théâtre que le Théâtre du millénaire de la Ville de Luxembourg depuis le début de sa création. Les villes de Luxembourg et d’Esch reçoivent elles aussi chacune onze millions de francs pour leurs théâtres respectifs. Or, si Jeannot Comes travaille en permanence avec le théâtre de Poznan, Pologne, pour créer des opéras à dormir debout – pour lesquels il veut en plus diriger l’orchestre –, où s’il renfloue ses caisses en accueillant les galas Karsenty, le TNL nous a produit un magnifique Songe de Strindberg, un émoustillant Rinderwahn (Helminger/Kerger), un superbe Genêt (Les Nègres), on a accueilli le sublime Godot de Bondy...
En fait, il s’avère que le problème structurel du théâtre au Luxembourg est justement que les infrastructures sont entre les seules mains des communes, gérées par des directeurs nommés à vie par les édiles communaux et finalement assez confortablement installés dans leur fauteuils. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne produisent pas de bonnes pièces de temps à autres, mais tout cela manque un peu d’enthousiasme. Or, depuis ses débuts au ministère de la Culture, Erna Hennicot-Schoepges (PCS), soutient des projets ambitieux et exigeants, qui ont certes besoin d’argent, mais qui ont fait bouger les choses : L’Orchestre philharmonique (300 millions de francs par an) développe un dynamisme hors du commun ; le Casino Luxembourg (33 millions de francs) nous amène des expositions importantes, à la pointe de l’art contemporain, c’est la surface d’exposition dont la presse internationale parle le plus. Et voilà donc, en dernier, le Théâtre national.
À la base, le problème est que les instances politiques de l’État sont toujours trop réticentes à investir en culture – alors que 135 millions sont allouées à la seule fête de la pérennité du monde chrétien, le programme pour la célébration de l’an 2000, programme qui n’a d’ailleurs toujours pas été présenté -— et que les lourdeurs son telles que ces structures ne sont pas institutionnalisées. L’OPL est géré par une fondation, tout comme le fonctionnement du futur Musée d’art moderne – et par deux fois, la ministre a récolté des oppositions formelles du Conseil d’État ; le Casino et le TNL sont des associations sans but lucratif. Ce qui veut dire pour ces structures qu’elles sont précaires, ne disposent souvent pas du personnel et des infrastructures nécessaires pour leur fonctionnement.
En France, le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis est actuellement sous les feux de la critique parce que son nouveau directeur artistique Stanislas Nordey, mis en place par la ministre de la Culture Catherine Trautman (PS) avec un projet ambitieux de démocratisation de la culture, accuse un déficit de dix millions de francs français (plus de 60 millions de francs luxembourgeois) après seulement un an de fonctionnement (sur un budget total qui fait le double). En comparaison, il s’avère donc effectivement que onze millions de francs pour le TNL, c’est des peanuts, bien que cet argent, il faudra néanmoins toujours le gérer avec parcimonie. Surtout si l’on ne dispose pas de structures techniques dont la seule location pèse lourdement dans un budget de production.
Il est donc plus incompréhensible encore qu’une asbl de théâtre solidement implantée au Luxembourg, qui produit régulièrement des pièces originales depuis bientôt vingt ans, comme l’est la Theater GmbH, soit forcée de mettre les clés sous le paillasson parce que forcément, elle ne peut pas travailler avec zéro franc. Selon le fax de Guy Dockendorf, il s’agirait d’une simple question de délais, la demande pour bénéficier d’une convention en 1999/2000 ayant été introduite trop tard. La pièce Ventilator de Guy Rewenig serait néanmoins subsidiée a posteriori.
Or, voilà un deuxième problème qui fait piétiner d’impatience les créateurs et les intermittents du spectacle, les lourdeurs administratives, comme le ministère de la Culture manque de personnel, qu’une seule personne  monopolise toutes les décisions, que, comme dans tous les autres domaines, l’État est mauvais payeur. Or un intermittent du spectacle est dépendant de cet argent pour vivre. L’annulation d’une création est pour lui un manque à gagner et met souvent en péril jusqu’à sa survie. Il n’est pas étonnant dès lors que seule une minorité de gens restent dans le métier, que la plupart des acteurs luxembourgeois ne pratiquent leur art qu’en amateur. Il faut bien vivre.
Espérer que la loi sur le statut de l’artiste éponge toutes ces doléances de la part des créateurs serait naïf.

josée hansen
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