Restructuration de la dette grecque

Les investisseurs privés luxembourgeois spoliés ?

d'Lëtzebuerger Land du 27.04.2012

Lorsque la Grèce a voté la loi 4050/2012 avec effet rétroactif, qui semble prévoir qu’une majorité de détenteurs d’obligations peut forcer une minorité de détenteurs à accepter une renonciation de leur créance représentée par l’émission d’obligations, on n’imaginait pas la façon par laquelle le ministère grec des Finances allait procéder (class action clause).

La Grèce a d’abord lancé une offre publique via internet, à savoir un invitation memorandum daté du 24 février 2012, qui ne s’adressait qu’aux investisseurs professionnels, ce qui correspondait à ce que les hommes politiques avaient promis.

Ce « mémorandum d’invitation » pour l’échange volontaire des créances prévoyait dans le paragraphe « bondholders’ agreement, acknowledgements, representations and warranties » que les participants résidents au Luxembourg confirmaient à l’État grec qu’ils étaient des professionnels qualifiés au sens l’article 2. 1 ( j ) de la loi du 10 juillet 2005 sur les prospectus d’offre publique ou d’admission à la cote officielle. Cette loi qui repose sur une directive communautaire a pour but de protéger les investisseurs contre des offres publiques et obligent les émetteurs à mettre à la disposition des intéressés certains documents soumis à l’accord de l’autorité de surveillance (la CSSF) ; dans le cas en présence, l’État grec aurait dû préparer un prospectus simplifié avec visa de la CSSF et le soumettre aux personnes ciblées. Afin d’éviter de préparer un tel prospectus, la Grèce ne s’est adressée qu’à des professionnels qualifiés. Ce qui semble tout à fait farfelu est que, par la suite, la majorité des détenteurs professionnels auraient pu forcer des détenteurs à qui la Grèce ne s’est adressé dans son invitation mémorandum à renoncer à leurs créances.

L’auteur de cet article a tenté de contacter l’agent trustee pour les investisseurs, qui est désigné dans toute émission publique. Cependant, il a dû constater que tous les noms figurant dans le mémorandum ne travaillaient que pour l’État grec ; la Deutsche Bank Londres , en tant que closing agent, lui a envoyé un communiqué de presse émanant du ministère grec confirmant que tous les porteurs tombaient automatiquement sous la renonciation volontaire, en plus, la Deutsche Bank Londres précisait qu’ils n’avaient pas envie de communiquer ultérieurement avec le demandeur. L’auteur a ensuite contacté le cabinet d’avocats londonien Cleary, Gottlieb, Steen [&] Hamilton, qui a rédigé le invitation memorandum pour obtenir une traduction anglaise de cette fameuse loi rétroactive 4050/2012. La réponse de Cleary, Gottlieb, Steen [&] Hamilton était affligeante. « Nous n’avons actuellement pas de traduction lisible de cette loi ».

Une demande écrite adressée au ministère grec des Finances est restée sans réponse jusqu’à ce jour. Une tentative de joindre l’avocat luxembourgeois est restée infructueuse.

La question essentielle qui se pose est de savoir si une loi rétroactive, en l’occurrence grecque, bénéficierait de la primauté sur une loi luxembourgeoise qui protège les investisseurs et si le Luxembourg doit accepter une disposition qui méprise à un tel point la loi nationale et le droit communautaire et que l’ordre public est atteint.

Les investisseurs privés de certains pays à savoir la Belgique et l’Autriche, qui disposent d’une loi similaire à la notre et reposant sur la directive communautaire en matière de prospectus, n’ont pas fait l’objet de cette renonciation forcée. D’ailleurs, dans l’invitation memorandum, il y a des dispositions similaires à celles prévues pour le Luxembourg (investisseurs qualifiés). L’autorité de contrôle (CSSF) ne semble pas avoir agi.

Enfin, les obligations grecques détenues par la BCE, l’Union européenne, les banques centrales et le Japon ont été exemptées de l’échange.

Tout ceci est purement politique, sans respect des droits fondamentaux des citoyens et contraire à une « égalité de traitement » des détenteurs d’obligations grecques.

Jean-Paul Kill
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