Festival Passages

Ouverture

d'Lëtzebuerger Land du 17.05.2019

Le Festival Passages est indéniablement devenu l’un des plus grands rendez-vous du théâtre international. Initiateurs, Charles Tordjman et Jean-Pierre Thibaudat ont beaucoup insisté pour faire de ce « colloque », un festival d’ampleur, rassemblant des esthétiques théâtrales diverses et étonnantes. Depuis l’arrivée de son nouveau directeur Hocine Chabira, le festival change de gueule mais continue à rayonner, détoner et stimuler. C’est très différent, plus léger, mais, sans se faire prier, on y court toujours.

Créé et imaginé à Nancy en 1996 par Charles Tordjman et Jean Pierre Thibaudat, le Festival Passages est d’abord inspiré par l’envie de provoquer des rencontres autour du théâtre. Une seule ligne directrice : celle de créer des ponts entre les cultures, de frayer des passages entre les théâtres. Il s’agissait de découvrir le monde par le théâtre, voir comment on les pense ailleurs, le monde comme le théâtre, et rassembler ces « visions » dans un événement qui a vite pris des allures de festival. Une manifestation culturelle aujourd’hui référence et unique en son genre.

Si à l’époque, le duo Tordjman/Thibaudat se tournait vers l’Est de l’Europe, ces deux dernières éditions se sont ouvertes à l’ensemble de la planète pour « relier les mondes ». Ainsi, cette année, cap au Sud, en Afrique et autour. Une ligne vivement influencée par la politique internationale et le racisme ambiant qui y règne. Chabira, directeur artistique assez engagé, signe une programmation voulant déglinguer les stéréotypes et faire ravaler ce mépris culturel, que beaucoup – même de nos jours – gardent en bouche. Des vindictes louables sur le papier, dans les faits on se retrouve face à une programmation tournée principalement vers l’Afrique, certes attirante et bienveillante, mais qui « qualitativement », ne semble – sur cette première partie – pas à la hauteur des années précédentes.

Préquel du Festival, Danser Casa a été le premier spectacle de la programmation à se jouer. Comme « étranger » au festival, il se jouait en marge, à l’Arsenal, avant même l’inauguration officielle. Pourtant, c’est un amuse-bouche plutôt délicieux qu’on nous sert, une pièce de danse pour huit interprètes, montée par les chorégraphes français Kader Attou et Mourad Merzouki. On y voit l’effervescence de Casablanca, sous des mouvements mêlant hip-hop, acrobaties, cirque, parkour et danse contemporaine. Une sorte de bataille de technicité corporelle, un spectacle construit comme un voyage qui divertit mais qui manque de fond, négligeant la narration.

Quelques jours après, l’inauguration du vendredi, a d’abord été rythmée par le collectif Attends ta fanfare, puis les discours pompeux de quelques politiques flippés des élections à venir, pour se finir par l’intervention salvatrice et vigoureuse de La Milice de la Culture. Un groupe de poètes irakiens qui s’est fait pour leitmotiv d’envahir par la poésie des espaces d’affrontements. Là, au cœur de Metz, entouré de soleil et d’un public calme et attentif, « l’acte » a malheureusement moins d’impact. Et Passages s’est lancé comme ça, ouvrant sa programmation entre formalité d’usage et militantisme…

Côté spectacle « en programmation » justement, Play de Beckett monté par le Studio Oyunculari de Turquie a été notre premier choc. Une pièce à concept qui a divisé l’audience et nous a particulièrement ravis. Introduite par une première partie étrange, silencieuse, plutôt longue et a fortiori de plus en plus pauvre, au premier noir, elle se voit coller un « bravo » sarcastique et désappointé d’un des membres du public. Pourtant, dans le vif du sujet quelques minutes après, le principe de représentation nous prend aux tripes jusqu’à la fin. Monter un tel spectacle est un coup de génie, le programmer une vraie prise de risque.

Dans un autre style, le Musée Bombana de Kokologo tenu en impro’ et gestes par Athanase Kabré est un bonbon. Un spectacle de théâtre d’objets, joyeux et positif qui s’infiltrerait partout où le théâtre peut se jouer. Un contraste saisissant avec le plus sérieux Babel Guyane, mis en scène par Ricardo Lopez Muñoz et interprété par Jean Roberto, jeune comédien issu du Théâtre National de Strasbourg. On y voit et entend la vie de ce dernier. Le spectacle prend logiquement une tournure « égo-trip » qui ne choque pas tant car au-dessous de ce discours autocentré, le comédien soulève tout de même quelques questions essentielles sur l’identité, l’éducation ou le formatage culturel.

Retournant à cette ligne africaine, tant désirée par le directeur de Passages, le spectacle Ethiopian Dreams du Circus Abyssinia fait office de temps fort. Il se résume néanmoins en peu de choses : on y trouve une dimension familiale, les codes du cirque (acrobate, contorsionniste, jongleur, clown, etc.) et enfin cette ambiance savoureusement kitsch. C’est un jeune cirque plutôt technique mais qui n’égale pas encore certaines familles qui courent les routes de France.

Opérant main dans la main avec l’Arsenal, l’Opéra et l’Espace BMK, dans des programmations transversales, le Festival Passages commence son festival autour d’un intérêt qui vrille vers des spectacles plus souples, divertissants et moins prise de tête. Pourtant, en tant que référence et avec près de 1,3 million d’euros investis, sur la deuxième partie, on attend plus de prise de risque.

Plus d’informations : https://www.festival-passages.org/

Godefroy Gordet
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